TRAITE
DE FLORENT
TERTVLLIAN, DOCTEVR
treſ-ancien, & voiſin du temps des Apoſtres, enuiron
CLXX. ans apres l'incarnation de Ieſus Chriſt, touchant l'Idolatrie.
Mis en François par M.L. Daneau
Docteur es droicts, &
Miniſtre de la Parole
de Dieu.
M.D.LXV.
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e plus grand crime que commette le genre
humain, la plus grande faute que face le monde, toute la cauſe du iugement de Dieu
ſur nous, c'eſt l'Idolatrie. Car combien qu'autrement vn chacun pecheacute; ait
ſa propre eſpece, & qu'il puiſſe eſtre condamné par
ſon propre nom, toutesfois toute ſorte de peché ſe fait & ſe
trouue en commettant ce crime d'Idolatrie. Qu'ainſi ne ſoit, laiſſe le nom, pren le faict. L'idolatre eſt auſſi homicide & meurtrier. Demandes-tu qui il tue? Si cela peut
ſeruir pour faire plus valoir la choſe, il ne tue ni vn eſtranger, ni vn ennemi, mais
ſoy-meſme. Mais par quelles embuſches? Par ſon propre erreur. Par quel baſton? Par la faute qu'il fait enuers Dieu. Par combien de coups? Par autant comme de fois il idolatre.
|| Et nul ne peut nier que l'idolatre ne ſoit meurtrier, ſinon celuy qui nie que l'idolatre ſe perde. En meſme ſorte nous cognoiſtrons qu'en l'idolatrie il ſe commet vue paillardiſe & fornication. Car quiconque ſert aux faux dieux, ſans doute tel adultere & corrompt la verité: car toute fauſſeté eſt adultere & corruption. Auſſi l'idolatre fait fornication. Car qui eſt-ce qui ayant communiqué au ſeruice des eſprits immundes, ne ſoit auſſi ſouille & vilain? Et pour ceſte cauſe l'Eſcriture ſaincte vſe du mot de fornication, quand elle nous reproche noſtre idolatrie. Quant au larrecin & tromperie, ceſte eſt la nature de fraude & tromperie, comme ie croy, qu'elle rauit le bien d'autruy, & denie ce qui luy eſt deu. Et combien qu'elle ne ſe face qu'à l'endroit d'vn homme mortel, ſi eſt-ce vn grand forfait. Mais l'idolatrie trompe & deſrobe à Dieu les honneurs qui luy ſont deus, & les donne à d'autres: tellement qu'auec le larrecin qu'elle fait à Dieu, elle luy fait iniure & deshôneur. Que ſi & le larrecin & la paillardiſe
ſont || dignes de mort, auſſi l'idolatrie, & non moins que le meurtre. Mais outre ces crimes ſi pernicieux & ſi dommageables à noſtre ſalut, qui ſont en l'idolatrie, les autres pechez s'y trouuent auſſi en quelque forte, & chacun à part l'vn de l'autre. Comme quoy? Les concupiſcences du mode ſont auec l'idolatrie. Car quelle feſte & ſolennité y a-il entre les idolatres, où il n'y ait de l'ambition en parures & accouſtremés?Auſſi
y a-il en l'idolatrie & des diſſolutions
L'idolâtrie
eſt cauſe
de toutes
diſſolutions.
& des yurongneries, d'autant que le plus ſouuent on s'y trouue pour les banquets & le plaiſir du ventre, & de paillardiſe qui y eſt. Il y a auſſi toute iniuſtice. Car où peut eſtre plus grande iniuſtice, que là où on ne recognoiſt point le Pere de iuſtice? Auſſi y a-il v-ne pure vanité en l'idolatrie, veu que toute la raiſon & fondement d'icelle eſt vain. Auſſi a-il menſonge: car toute la ſubſtance d'icelle eſt menſonge & fauſſeté. Ainſi il appert que tous pechez ſe trouuent en l'idolatrie, & que l'idolatrie s'apperçoit en tous autres pechez.
Et comme ainſi ſoit que tous pechez || ne ſentent rien de Dieu, & que ce qui ne ſent rien de Dieu, vienne du diable & de l'eſprit immunde, auquel les idoles appartiénent,il eſt certain que quiconque peche, il commet comme vne idolatrie : car il fait ce que les ſeruiteurs du diable & idolatres font, & ce qui leur appartient. Mais ſoit encore que le nom d'vn chacú peché demeure à la propre nature & action d'iceux, &
que l'idolatrie ſoit conſideree telle qu'elle eſt de ſoy-meſme, ce nom d'idolatrie eſt assez en ſoy, eſtant tant ennemi de Dieu, la nature de ce crime ſi fertile à produire tant de rameaux, & jetter tant de veines : tellement que l'vne des principales occaſions, pour laquelle nous auons entrepris de traiter ceſte matiere, eſt pour monſtrer en combien de ſortes, & comment nous deuons fuir la large eſtendue de l'idolatrie. Car elle perd les ſeruiteurs de Dieu en beaucoup de façons, ſoit par ignorance, ſoit par diſſimulation. Pluſieurs eſtiment qu'idolatrie eſt ſeulement & proprement, quand quelcun
fait ou encenſement ou ſacrifice, ou || luminaire,
ou s'oblige à quelque ſeruice ou charge de leurs dieux: comme ſi
quelcun penſoit que la paillardiſe fuſt ſeulement en baiſers,
embraſſemés, & au coucher enſemble: ou que l'homicide ſoit
ſeulement, ſi le ſang de faict eſt eſpandu, & l'ame
pouſſee hors du corps. Mais no9 ſommes certains que noſtre
Seigneur l'eſtend plus loin. Car il met la paillardiſe en la concupiſcence
meſme: comme ſi quelcun a ſeulement ietté ſon œil auec vn
appetit mauuais, ou s'il s'eſt eſmeu impudiquement. Et de l'homicide,
il le iuge eſtre meſme en vne parole dite par maudiſſon ou
par iniure, & en tout mouuement impetueux de cholere, & en faute de
charité enuers ſon frere: ainſi comme ſainct Iean enſeigne,
Que tout
Matth.5
homme qui hait ſon frere, eſt homicide &
meurtrier. Autrement ce ſeroit peu de choſe en quoy conſiſteroit
tant l'eſprit & malice du diable, que la correction & inſtruction
de noſtre Seigneur Dieu, par laquelle il nous munit contre les puiſſances
du diable, ſi ſeulement nous eſtions iugez & condamnez par la
Loy || de Dieu és cas que les Payens meſmes
ont puni par leurs loix & ordonnances. Comment eſt-ce que noſtre
iuſtice abondera par deſſus celle des Scribes & Phariſiens,
comme le Seigneur commande, ſi nous ne cognoiſſons l'abondance
& longue eſtendue du vice ſon contraire, aſſauoir de
l'iniuſtice? Que puis que le chef de toute iniuſtice c'eſt
l'idolatrie, il eſt preallable que premierement nous ſoyons aduertis
combien elle s'eſtend loin, & que nous la puiſſions recognoiſtre,
nous ſeulement és cho ſes qui ſont toutes claires. Il a eſté
vu temps auparauant, auquel il ny auoit aucun idole. Premier que les forgerons
de ce monſtre fuſſent nais, les temples eſtoyent vuides
& ſans idole, comme auiourd'hui encore en quelques lieux, les marques
de celle antiquité apparoiſſent.Toutesfois l'idolatrie ne laiſſoit
point deſia d'eſtre, non pas ſous ce nom: mais le faict eſtoit
le meſme; car encore auiourd'hui elle ne laiſſe point de pouuoir
eſtre commiſe & hors les temples, & ſans idole. Mais
apres que le diable eut chié au monde ces beaux || ouuriers
de ſtatues & d'images, & de toutes ſortes de pourtraitures, ce
ſot ouurage & inuention de la calamité des hommes print ſon nom
des idoles, comme elle en eſtoit venue. Depuis tout art, qui en quelque
forte & façon que ce ſoit, ſait forger vn idole, a eſté eſtimé
le fondement de l'idolatrie. Car ou que le ſtatuaire ait taillé l'idole,
ou que le graueur l'ait façonné, ou que le brodeur l'ait tiré, il n'y a
aucune difference pour cela: comme auſſi il n'y a aucune difference
pour la matiere dont l'idole eſt fait, ſoit en boſſe, ſoit
en peinture, ſoit en pierre, ſoit en airain, ſoit en argent,
ſoit en brodure: car l'idolatrie peut eſtre meſme ſans idole
preſent. Mais quand vn idole eſt preſent, c'eſt tout vn,
quel qu'il ſoit, de quelle matiere, & de qui: afin que perſonne ne
cuide ce ſeulement deuoir eſtre eſtimé idole, qui eſt fait
& conſacré ſous la pourtraiture de forme humaine. Et pourtant
l'interpretation du mot meſme d'idole doit eſtre entendue. Ce mot Idos
ſignifie en Grec, forme || & ſemblance,
duquel mot d'Idos par vn diminutif le mot d'idole eſt tiré, qui nous
ſignifie vne petite reſſemblace. Partant toute forme ou reſſemblance
doit eſtre appellee idole. De là l'idolatrie eſt nommee, qui eſt
vn ſeruice & ſoin que lon a des idoles. Et de ceci auſſi
appert que tout forgeron d'idole eſt coulpable d'vn meſme & pareil
crime que l'idolatre : comme ſi le peuple des Iuifs n'auoit point idolatré,
d'autant qu'il s'eſtoit eſleué la forme & image d'vn veau, &
non point d'vn homme. Dieu donc defend autant de faire les idoles, comme il
defend de leur ſeruir & les honorer. Car puis qu'il eſt preallable
qu'ils ſoyent faits premier que lon leur ſerue, auſſi eſt-il
raiſonnable qu'ils ne ſoyent point faits, de peur que lon leur ſerue.
Et pourtant pour deſraciner meſme toute occaſion d'idolatrie, la
Loy de Dieu crie ſi hautement, Vous ne ferez aucun idole; & puis apres
elle dit, Ni ſemblance aucune des choſes qui ſont au ciel &
en terre & en la mer. Dieu a defendu & prohibé tels arts par tout le
monde. || Car il auoit predit que les diables
& eſprits des anges rebelles, tourneroyent à l'vſage de
l'idolatrie tous les elements, & tout ce qui ſe voit au monde, ſoit
au ciel, ſoit en terre, ſoit en mer; afin que tour cela fuſt
tenu pour Dieu au deſhonneur de l'Eternel. Parquoy il eſt aduenu que
l'erreur des hommes a ſerui à toutes choſes fors qu'au vray Createur
: & l'image de ces choſes auſquelles l'homme a ſerui, eſt
appellé idole, & l'honneur que lon leur porte, idolatrie. Tout ce que
l'idolatre peche, doit eſtre attribué à l'ouurier en premier lieu,
quelque idole que ce ſoit. meſmes auſſi Enoch au liure de ſes
menaces, condamne pareillement & ceux qui ſont les idoles, & ceux
qui leur ſeruent. Et derechef il dit, Ie vous iure, pecheurs, que la peine
vous eſt appreſtee au iour de l'effuſion du ſang: & vous
qui ſeruez aux pierres, & qui faites des images d'or & d'argent,
& de bois & de pierre, & de terre, & qui ſeruez aux fantoſmes
& aux diables, & aux eſprits infames, & à tout erreur, non
point ſelon ſcience, vous ne || trouuerez
Iſa.44.8
aucune aide en ceci. Et Iſaie dit, Vous eſtes teſmoins
s'il y a autre Dieu que moy. Donc tous pourtrayeurs d'images ne ſeront
rien, & leurs choſes les mieux aimees ne leur profiteront rien. Et tout
ce qu'il prononce là, en deteſtant & les faiſeurs d'images, &
les ſeruiteurs d'icelles, & la fin de tout ce paſſage eſt,
Cognoiſſez que leur cœur eſt cendre & terre, & que perſonne
ne pourra deliurer ſon ame. Autant en dit
Pſal.115.8
Dauid, Et ceux
qui les font, ſont ſemblables ceux qui y ont leur recours. Et moy
homme de courte memoire, qu'ay-ie beſoin d'alleguer d'auantage les paſſages
de l'Eſcriture ſaincte? comme ſi la voix & ſentence du
S. Eſprit n'eſtoit pas aſſez, ou comme s'il faloit deliberer
encore, ſauoir ſi le Seigneur iuge mal & condamne à tort les
ouuriers des images, deſquelles il iuge & condamne les ſeruiteurs
& adorateurs. Mais nous reſpondrons encore plus au long aux excuſes
de telles gens, leſquels ne doiuent eſtre admis & receus en la maiſon
de Dieu, qui eſt l'Egliſe, ſi lon veut garder la discipline
d'icelle. En || premier lieu, quant à ce qu'ils
alleguent pour vne de leurs excuſes, Ie n'ay autre moyen de viure que ceſt
art, cela peut eſtre repouſſé roidement en ceſte forte : Tu
veux donc viure. Mais comme viuras-tu auec Dieu en ce monde, ſi tu veux
viure à ta volonté, & non ſelon la ſienne? Quant à l'autre excuſe
qu'ils ont, & oſent prendre de l'Eſcriture ſaincte,
1 Cor.7.20
aſſauoir que l'Apoſtre a dit, qu'vn chacun chemine
& perſeuere en l'art & vocation, en laquelle il a eſté trouué
& appellé de Dieu: il conuient reſpondre ainſi, Nous pouons donc
tous tant que nous ſommes, ſelon ceſte interpretation, perſeuerer
és maux & pechez, eſquels no9 viuions lors que nous auons eſté
appeliez à la cognoiſſance de Dieu. Car nul de nous n'a eſté
trouué de Dieu, ſinon pécheur: attendu que Chriſt n'eſt deſcendu
du ciel pour autre cauſe, que pour deliurer & appeller les pecheurs.
Ils alleguent en tiers lieu, que le meſme Apoſtre commande,
2.Theſſ.3.8
qu'à ſon exemple vn chacun trauaille de ſes mains pour viure. Si cela
ſe doit entendre de toute forte de trauail de main que lon puiſſe
|| faire, ſoit honneſte, ſoit
deshonneſte: ie di & que les larrons qui hantent les eſtuues,
viuent du trauail de leur main, & que les brigans de foreſt font de
leurs mains les meurtres dont ils viuent. Les fauſſaires ne font pas
vne fauſſe eſcriture du pied, mais de la main. Les baſteleurs
& hiſtrions trauaillent pour viure, non ſeulement des mains, mais
meſme de tout le corps, par mouuemens deshonneſtes. Parquoy que l'Egliſe
de Dieu leur ſoit ouuerte à tous, puis qu'ils viuent du propre trauail de
leurs mains, s'il ne faut faire aucune diſtinction du trauail & œuure
que nous faiſons de nos mains, & des vocations & arts que la diſcipline
de Dieu reçoit ou reiette. Mais quelcun allegue contre ce que nous propoſons
de ne faire image, Pourquoy eſt-ce donc que Moyſe au deſert fit
l'image de Serpent d'airain?
Nomb.21.9
Ie reſpon que c'eſt autre
choſe des figures & images qui ont ſerui à ſignifier quelque
choſe de ſecret, comme a eſté la figure du Serpent, non pour
abroger
Iean 3.14
la Loy qui defend ſeruir aux images, ||
mais
pour eſtre vne plus viue peinture
de ce qu'elle repreſentoit.
Autrement ſi nous interpretons ce faict de Moyſe, comme font les aduerſaires
de la Loy, ne dirons-nous pas comme les Marcionites, que le Seigneur Tout-puiſſant
eſt inconſtant, comme iceux le diſent, & ſouſtennent
qu'il eſt muable:
Nota que le peuple n'a
ni ſerui ni adoré
l'image du Serpent,
ains
l'areceue
ſettlement pour ſigne &
Sacrement de la mort
de Chriſt,
comme il luy eſtoit donné
par Moyſe: car quand
le peuple cri a abuſé,
& l'a adoré,
il a efté
rompu par le
Roy Ezechias.
veu que (comme ils diſent) en vn lieu il defend
faire vne choſe, en l'autre il la commande? Que il quelcun denie que la
ſimilitude du Serpent d'airain, pendu en la ſorte qu'il eſtoit,
n'ait eſté figure de la croix & mort du Seigneur qui nous deliureroit
des ſerpens, c'eſt à dire des diables, veu que ceſte mort a de
ſa propre force occis le diable, qui eſt le ſerpent : ou bien
ſoit qu'il y ait autre expoſition de ceſte figure, laquelle
ſoit cognue & reuelee aux plus ſauans (car l'Apoſtre dit que
toutes ces choſes aduenoyent au peuple en figure) tant y a que ceci eſt
touſiours vray, que c'eſt le meſme Dieu, lequel par ſa Loy a
defendu faire aucune image pour eſtre ſeruie, & lequel puis apres
par vn autre & plus ſpecial commandement a commandé ||
de faire la ſimilitude du Serpent d'airain. Si tu as eſgard à ce
Dieu qui eſt touſiours le meſme, tu as ſa Loy qui dit, Tu
ne feras reſſemblance quelconque. Si tu as eſgard à ceſte
ſpecialité de la reſſemblance du Serpent, toy-meſme imite
Moyſe, c'eſt que tu ne faces aucune ſimilitude contre le
commandement general de la Loy, ſi Dieu expreſſement ne te le
commande. Que s'il n'y auoit aucune Loy de Dieu, qui no9 defendiſt
de faire images, il n'y auroit auſſi aucune menace du ſainct Eſprit
con-tre ceux qui les forgent, comme contre ceux qui les adorent. Mais encores
que toutes ces defenſes & menaces ne fuſſent point eſcrites,
ſi pouuons dire & recueillir de noſtre Bapteſme, que ces
arts qui forgent les idoles, ſont contraires à noſtre foy.
Ce que nous
promettons au
Bapteſme.
Car comment pouuons renoncer au diable
& à ſes anges, ſi no9 les forgeons? Quel diuorce faiſons-nous
auec ceux, auec leſquels, mais deſquels nous viuons? Quelle haine
portons-nous à ceux auſquels no9 ſommes obligez par les
repreſenter? Peux-tu nier de la langue, ce que tu confeſſes de
ta || main? Peux-tu ruïner de paroles ce que de
faict tu eſtablis? Peux-tu annoncer vn ſeul Dieu, veu que tu en fais
tant en nombre? Peux-tu confeſſer vn vray Dieu, veu que tu en fais
tant de faux? Ie les fais bien (dit quelcun)mais ie ne leur ſers pas :
comme il c'eſtoit pour autre cauſe que lon ne leur doit ſeruir,
& pour autre que lon ne les doit forger: mais c'eſt pour la meſme,
aſſauoir, qu'en toutes les deux on offenſe Dieu. Au contraire,
tu leur ſers, car tu fais qu'on leur ſert: & tu leur ſers
& les honores, non point par l'odeur de quelque vil encenſement, mais
de ton propre eſprit, & leur offres, non point l'ame d'vne beſte,
mais la tienne propre. Tu leur ſacrifies ton eſprit, tu leur donnes
ta ſueur, tu fais reluire ta ſcience en leur honneur. Tu leur vaux
d'auantage que leur propre ſacrificateur: car c'eſt par ton moyen qu
ils ont leurs ſacrificateurs. Ton induſtrie & ton art eſt
leur deïté. Et maintenant apres tout ceci nies-tu que tu ne leur ſerues?
Mais ie di, les idolatres meſmes ne le nient || pas,
pour leſquels tu occis & donnes le propre ſalut de ton ame,
offrande beaucoup plus graſſe & riche & exquiſe que
toutes autres. Et pour celle cauſe vn vray zele de foy prie & gemit
tous les iours de ce qu'vn, qui le dit eſtre Chreſtien, entre en
l'Egliſe de Dieu, ſortant de façonner vn idole: qu'vn qui ſort
d'vne boutique toute contraire à Dieu, entre en la maiſon de Dieu : que
vn leue ſes mains, meres des idoles, à Dieu le Créateur, qu'il adore,
Dieu de ſes meſmes mains, lesquelles hors l'Egliſe & aſſemblee
ſont elles meſmes adorees au deshonneur de Dieu : & qu'il
approche ſes mains du corps du Seigneur, leſquelles donnent &
forgent vn corps aux diables. Et qui pis eſt, c'eſt que ces
tailleurs & pourtrayeurs d'idoles ne reçoiuent pas des autres ce dont ils
ſe fouillent, mais eux-meſmes le baillent aux autres pour s'y
fouiller. On reçoit au conſiſtoire, & pour auoir charge en
l'Egliſe, les tailleurs & faiſeurs d'idoles. O le mal-heur! Les
Iuifs ont tué vne ſeule || fois Chriſt,
mais ceux-ci l'outragent tous les iours. ô mains dignes d'eftre couppees!
Qu'ils regardent ſi en quelque ſorte ceci ne leur peut pas
appartenir, qui eſt dit, Si ta main te
Matth.18
ſcandaliſe,
couppe-la. Or quelle main doit eſtre a plus iuſte raiſon
couppee, que celle qui ſcandaliſe tout le corps du Seigneur, aſſauoir
l'Egliſe? Mais outre ces tailleurs & faiſeurs d'idoles, il y a
auſſi pluſieurs fortes d'eſtats & de meſtiers, leſquels
iaçoit qu'ils ne facent point d'idoles, toutefois font & ſeruent aux
choſes, fans leſquelles les idoles ne pourroyent rien: leſquels
eſtats & meſtiers ſont comprins ſous vn meſme
crime & condamnation que les imagiers de faiſeurs d'idoles. Car c'eſt
tout vn, ſoit que tu faces l'idole & l'image.
Ceux qui ornent
les idoles, ſont
ſemblables à
ceux qui les font.
Ceux ſoit que tu
l'embelliſſes, ſi tu ſers à parer & orner, ſoit
leur temple, ſoit leur autel, ſoit leur chapelle: il tu tires au vif
leurs deuiſes, ou la branche qu ils portent en leur main, ſi tu
leurs baſtis vne maiſon. Mais encore telle peine que tu prens, eſt
plus grande, laquelle || leur forge, non pas vne
reſſemblance, mais leur donne vne auctorité. Si la neceſſité
de viure te contraint, chaque meſtier a pluſieurs moyens, par leſquels
ſans le deſtourner de la profeſſion Chreſtienne, c'eſt
à dire, ſans ſeruir à l'idole, il peur gaigner ſa vie. Vn maiſtre
maçon pourra raccouſtrer & recouurir vn plaſtre, refeſſer
de chaux vne ciſterne, renduire de ciment vne paroy, & y faire pluſieurs
ioliuetez & griffonnemens, ſans ſeruir aux idoles. Vn peintre,
vn qui beſongne en marbre, vn fondeur, vn burineur, pourra faire chacun
en ſon art pluſieurs autres choſes bien plus aiſement, que
s'employer aux idoles. Car celuy qui fait forger vn idole de bois, combien
plus aiſement peut-il aſſembler vn dreſſoir? celuy
qui fait pourtraire en bois de til l'effigie du Dieu Mars, combien plus aiſement
peut-il faire des armoires du meſme bois? Car il n'y a meſtier qui
n'en engendre, ou n'ait quelque affinité auec autre. Nul meſtier n'eſt
inutile de tous ceux qui ſeruent à autruy. Car || les
meſtiers ſeruent & gaignent en autant de choſes, à combien
le plaiſir des hommes ſe peut adonner. Seulement il y a celle
difference, que lon gaigne plus aux vnes qu'aux autres. Partant auſſi
il y a difference du trauail qu'on y met : car vne choſe de petit pris
ſe fait plus ſouuent, & à moins de trauail. Que ainſi ne
ſoit, combien y a-il de parois, ou les images defaillent? combien
auiourd'huy edifie-lon peu de temples aux idoles? combien y a-il de maiſons
honorables, & de baings, & de places vacantes à baſtir? Quant à
vne bottine, & à vn fer, on les fait redorer tous les iours : car il couſte
peu : mais ni l'idole de Mercure ni de Serapis ne ſont pas redorees tous
les iours : car il couſte d'auantage. Meſme ce qui fait plus gaigner
les artiſans, c'eſt l'ambition & plaiſir deſordonné
des hommes, ou ils les employent plus ſouuent que pour leurs ſuperſtitions.
Pour exemple, ce que lon deſire auoir des couppes & des plats d'or
& d'argent és temples, cela vient plus d'vne ambition que d'vne religion.
|| Ce que lon a des couronnes & chapeaux
ſur la teſte aux ſacrifices des idoles, cela vient plus d'vn
plaiſir deſordonné des hommes, que pour ſolennizer ſainctement
le iour du Sainct. Partant quand nous exhortons les hommes à fuir tout meſtier
& vacation, qui forge ou l'idole, ou choſe qui y ſert, il faut
auoir eſgard, & faire ceſte diſtinction, qu'il y a beaucoup
de choſes qui peuuent auſſi bien ſeruir aux hommes comme
aux idoles : afin que nous-nous donnions de garde, que prudemment & ſciemment
on ne tire quelque choſe de nos mains pour en honorer les idoles. Car il
nous la donnons, & que nous n'vſions des remedes & proteſtations
en tel cas accouſtumees, i'eſtime que no9 ne ſommes
point purs du mal & contagion de l'idolatrie, veu que nos mains ſont
ſurpriſes s'eſtre employees pour le ſeruice & honneur
& vſage des diables, & que nous l'auons bien ſceu. Nous
auons outre tout ceci obſerué, qu'il va quelques arts & ſciences
coniointes & adonnees à idolatrie. Il ne || faudroit
point parler de l'Aſtrologie: car il eſt certain. Mais d'autant que
ces iours paſſez quelcun contrediſt, voulant dire &
defendre, qu'eſtant receu il pouuoit perſeuerer en ceſte profeſſion,
i'en parleray en peu de mots, le n'allegueray point contre luy qu'il fait
honneur aux idoles, veu qu'il approprie leurs noms aux eſtoilles du ciel,
auſquelles meſmes il tranſporte toute la puiſſance de
Dieu. Car d'autant que les hommes eſtiment que nous ſommes gouuernez
par la volonté & cours immuable des eſtoilles, pour ceſte cauſe
ils ne penfent point qu'il faille prier ni inuoquer Dieu. Mais ie diray vne
choſe, c'eſt que ce ſont les anges traiſtres à Dieu,
amateurs des femmes, qui ſont les propres inuenteurs de telle curioſité
& vanité, & qui ſont meſmes damnez de Dieu. O ſentence
digne d'eſtre notee, qui meſmes eſt paruenue iuſques en
terre, à laquelle les ignorans rendent ce teſmoignage, aſſauoir
que les Mathematiciens & Aſtrologues ont eſté par eux dechaſſez,
comme les Anges inuenteurs || de leur ſcience,
dechaſſez de Dieu. La ville de Rome & l'Italie a eſté
defendue aux Aſtrologues & Mathematiciens, comme le ciel à leurs
Anges. L'exil eſt la peine donnee & aux maiſtres & aux diſciples.
Mais ſi quelcun repliquoit, Les Mages vindrent d'Orient pour adorer Chriſt:
& puis diſoit-il, Nous ſauons quelle affinité il y a entre la
Magie & l'Aſtrologie. Bref ce ſont les Mages, qui les premiers
ont annoncé la naiſſance de Chriſt, c'eſt eux-meſmes
qui les premiers luy ont fait preſent. Ie croy que pour cela il voudroit
dire que Chriſt leur ſeroit obligé. Mais que conclud-il de tout
ceci? Ne voudroit-il point auſſi maintenir par meſme moyen, que
la religion que ſuiuoyent ces Mages, ſeroit bonne & ſaincte,
& que quand les Mathematiciens &Aſtrologues en ſeroyent,
cela les excuſeroit? Mais la Mathematique, que nous auons maintenant, eſt
de Chriſt, & n'obſerue point les eſtoilles ni de Saturne,
ni de Mars, pour predire quelque choſe par là, mais elle
regarde l'eſtoille & la lumiere de || Chriſt
& de to9 autres, qui ſont morts en luy & en ſon
ordre. Dauantage la ſcience de tels Mages a eſté ſupportee de
Dieu, iuſques au temps de l'Euangile, afin que Chriſt ni aucun n'euſt
plus à s'enquerir & interpreter la naiſſance d'homme viuant par
le cours & diſpoſition du ciel. Et pour ceſte meſme
cauſe les Mages offrirent à ceſt enfant, eſtant deſia
Seigneur, de l'encens, de la myrrhe, & de l'or, pour ſignifier la fin
de la ſacrificature & gloire legale denoir eſtre, laquelle Chriſt
eſtoit venu oſter & accomplir. Or le longe qu'eurent ces Mages
auſſi, leur ſignifioit le meſme, quand il leur fut dit
qu'ils retournaient en leurs contrees, non pas toutesfois par la meſme voye,
par laquelle ils eſtoyent venus, mais par autre: qui eſtoit à dire
qu'ils ne ſuiuiſſent plus leur premiere profeſſion de
Notez pour plus
claire ſolution de ceſte
difficulté, que la
ſcience de ces
Mages n'eſtoit pas à
obſeruer particulierement
la naiſſance | d'vn chacun, &
predire ce qui luy
denoit aduenir, ou non.
Ce que font les Aſtrologues
&
de noſtre temps &
du temps de Tertullian.
Mais avans quelque
cognoiſſance &
obſeruation ſur
le cours ordinaire des
eſtoilles, furent
eſtonnez de l'eſtoil
le qu'ils apperceurent
extraordinairement eſtre
au ciel et cognurent
qu'elle prediſoit
quelque
grand' choſe. Dauantage,
pour cela, tout ce
que ces Mages
auroyent
peu faire de leur ſcience,
n'eſt pas approuué par
l'Eſcriture,
mais ce faict
ſeulement, qui eſt
vne choſe extraordinaire,
pour
la confuſion des
Iuifs. La ſolution que
donne Tertullian, baſtit
de l'eſteulle & du
ſoin ſur vn bon fondement
de l'Eſcriture
ſaincte,
par vne interpretation
trop allegorique.
Magie. Car cela ne leur a point eſte dit de peur qu'Herodes les pourſuiuiſt,
veu qu'il ne les a point pourſuiuis, encores qu'il ne ſeuſt pas
qu'ils s'en fuſſent retournez par autre chemin: car auſſi ||
ignoroit-il par quel chemin ils eſtoyent premierement venus. Partant
il nous faut entendre par ceſte autre voye, vne autre diſcipline
& droite ſcience: & par ainſi qu'il leur a eſté pluſtoſt
commandé, que doreſnauant ils cheminaſſent en autre profeſſion
que la leur premiere. Autant en faut-il eſtimer de ceſte autre forte
de Magie, qui beſongne par miracles, & qui a reſiſté à
Moyſe, que la patience de Dieu l'a ſupportee iuſques au temps
de l'Euangile. Car depuis ce temps, Simon le Magicien eſtant meſme
receu en l'Egliſe, par ce qu'il retenoit encores quelque choſe de la
Magie & de ſa ſecte trompereſſe (car il vouloit entre
les autres miracles de ſon art, faire que par l'impoſition des mains
il peuſt vendre le ſainct Eſprit) il fut maudit des Apoſtres,
& ietté hors de l'Egliſe. Depuis vn autre Magicien, qui eſtoit
auec Sergius Paulus, fut || priué de la veuë,
par ce qu'il reſiſtoit aux meſmes Apoſtres. La meſme
malediction & punition euſt eſté enuoyee ſur les Aſtrologiens,
comme ie peux croire, ſi quelques vns le fuſſent trouuez de
leur temps. Mais puis que la Magie eſt condamnée & punie de Dieu,
& que l'Aſtrologie eſt vne parue & eſpece de ceſte
Magie, il eſt tout certain qu'elle eſt auſſi condamnée
& reprouuee. Et de faict, nous ne trouuerons point qu'il y ait eu apres
l'Euangile preſché ni Sophiſtes, ni Chaldeés, ni
Iſaie 33. Ceſte
interpretation eſt
trop allegorique,
combien que le fondement
de ceſt autheur ſoit
bon de reprouuer la
Magie miraculeuſe.
Partant ici meſme il
baſtit de l'eſteulle
ſur la parole de Dieu,
& ſur vn bon
fondement, I.Cor.3.3.
enchanteurs, ni deuineurs, ni Magiciens, qui n'ayent eſté punis. Où eſt
le ſage, où eſt le lettré, où eſt le ſauant de ce
ſiecle? Dieu n'a-il pas affollé la ſageſſe de ce monde?
Tu ne ſais rien toy Mathematicien, des choſes futures, ſi tu ne
ſauois que tu deuois eſtre quelque iour Chreſtien. Si tu le
ſauois bien, tu deuois auſſi ſauoir que tu ne pouuois
ſuiure ceſte tienne profeſſion, & ton art & ſcience
te deuoit aduertir du danger où elle eſtoit, toy eſtant fait
fidele, veu qu'elle ſe meſle de predire aux ||
autres les années & euenemens dangereux. Toy Mathematicien, ſi tu
veux eſtre Chreſtien, tu n'as plus ni part ni portion en ta profeſsion
de Magie: car celuy ne peut eſperer auoir part au royaume des cieux,
duquel le doigt & la ligne abuſe du ciel meſme. Or outre tous
ceux-ci, il faut ſauoir touchant les maiſtres d'eſchole, &
tous autres profeſſeurs des bonnes lettres: & n'y a doute que
nous trouuerons que ce qu'ils font, ſent ſon idolatrie. Premierement
Il parle des maiſtres
d'eſchole & des profeſſeurs
de ſon temps. Toutesfois
ceux de main renant
doiuent lire diligemment
ceci, pour ſauoir
s'ils font encore
choſe ſemblable
à ce qui eſt
repris en ce paſſage,
comme participant a
l'idolatrie.
il leur eſt de neceſsité de traiter les louanges des dieux des
Gentils, de reciter leurs noms, leurs genealogies, leurs fables, leurs accouſtremens,
& tout ce qui leur eſt attribué pour magnificence: item de garder
& obſeruer les ſolennitez & iours de feſtes qui leur
ſont dediez : car meſmes ils leur donnent de leur gain & reuenu.
Et qui eſt le maiſtre d'eſchole, qui ne frequente la ſolennité
des quatre feſtes de Minerue, encore qu'il ne vienne point à l'idole
& temple d'icelle? Car meſmement vn chacun conſacre & donne
à ||
l'honneur & au nom de la deeſſe Minerue le premier mois de
Elle eſt comme
S.Catherine, la ſaincte &
patrone des petis eſcholiers
de noſtre temps.
les nouueaux eſcholiers: tellement que combien qu'il ne ſoit point
ſouillé au ſeruice de quelque idole, toutes fois d'autant que ce
qu'il gaigne & reçoit de ſes mois, eſt fait par luy comme vne
choſe conſacree à l'idole, luy-meſme doit eſtre fuy &
euité comme vn idolatre. Et vn tel gain de mois ainſi du commencement
dedié à l'honneur & au nom d'vne idole, & ce qu'il luy
donne, eſt-ce choſe moindre qu'vne pure idolatrie? Les quatre feſtes
de Minerue ſont tout ainſi feſtes de l'idole Minerue, comme les
feſtes de Saturne ſont feſtes de l'idole Saturne : leſquelles
feſtes de Saturne ſont auſsi gardees au temps des Saturnales,
& celebrees par les vallets & chambrieres. Dauantage, és eſcholes
il faut donner les eſtrenes au premier iour de l'an, comme font les
Payens, payer le vin de la feſte des Sept montagnes de Rome, le vin
Ceci eſtoit comme
la feſte du Landi,
que font les eſcholiers
à Paris.
d'hyuer, porter tous les preſens accouſtumez d'eſtre donnez
pour la chere parenté, ||
mettre des chapeaux de fleurs àl 'entour de l'eſchole : tellement
qu'au meſme iour que les magiſtrats Aediles, & les femmes des
Preſtres Payens ſacrifient à la deeſſe Ceres, à ce iour
meſme les eſcholes font leur feſte. Et les meſmes choſes
qui s'y font, ſont celles que lon a accouſtumé faire au iour &
feſte de la natiuité de quelque idole : tellement que toute pompe
diabolique eſt lors veuë. Qui fera maintenant celuy, qui puiſſe
eſtimer qu'il ſoit conuenable à vn Chreſtien de faire ceci,
ſinon celuy qui voudra dire que toute autre perſonne qu'vn maiſtre
d'eſchole en peut faire autant? Or nous entendons bien qu'on pourra
repliquer, S'il n'eſt pas permis aux ſeruiteurs de Dieu d'enſeigner
& tenir eſcholes, il ne leur eſt pas auſsi permis d'y aller
ni d'apprendre. Mais ie reſpon, Comment ſeroit-il poſsible
qu'aucun fidele fuſt bien inſtruit, & fuſt propre à
quelque conduite des choſes humaines, ou à traiter choſe que ce
ſoit, ſans auoir les lettres, qui ſont les vrais inſtrumens
|| de bien conduire toutes choſes en ceſte
vie? Dauantage, comment teietterions-nous les eſtudes ſeculieres,
veu que les lettres diuines ne ſe peuuent apprendre ſans elles? Mais
conſiderons qu'en ceſte necefsité il y a ceſte diſtinction,
que pour le regard des choſes qu'il y faut faire, il n'eſt loiſible
d'accorder à tenir les eſcholes, & qu'il les faut fuir pour ce
regard, & qu'il vaut mieux que l'homme fidele apprenne, que non pas qu'il
enfeigne. Car il y a vne autre raiſon de celuy qui enſeigne &
de celuy qui apprend. Car quant à l'homme fidele, qui tient eſchole,
& enſeigne les lettres pleines de la louange des idoles, ſans
doute il les louë, entant qu'il les enſeigne, & les aſſeure,
entant qu'il les baille : & leur rend teſmoignage, entant qu'il les
recite. Meſmement il honore les idoles de ce nom de Dieu: &
toutesfois la Loy de Dieu, comme il a eſté dit, defend d'en
appeller autres dieux qu'vn ſeul, & veut que toute autre choſe
qui a ce nom, ſoit eſtimee fauſſe & vaine. Voire que
c'eſt || la premiere inſtruction &
foy que lon a au diable, que celle qui ſe prend ainſi de ces
premiers fondemens & enſeignemens qui ſont donnez aux eſcholes.
Demande à qui tu voudras, il ceſtui là n'eſt pas vray idolatre,
qui catechiſe & inſtruit les ieunes enfans touchant les idoles.
Quant au fidele qui apprend, s'il a deſia ſens & iugement pour
cognoiſtre ce qu'il eſt, il ne reçoit & n'approuue aucune de
toutes ces choſes qui luy ſont racontees: & s'il n'a point
encores de iugement, encores moins les approuue-il: & quand il commencera
à auoir iugement, il doit premierement iuger & cognoiſtre ce que
premierement il a appris touchant le vray Dieu & foy Chreſtienne:
& par ce moyen il reiettera toutes ces fables des idoles, & ſera
en auſſi grande ſeurete que celuy qui cognoiſt bien le
venin, iaçoit que celuy qui le luy prefente ne le ſache pas, &
Il appert que de ce temps-là
il n'y auoit encore aucune
eſchole fidele,
où lon enſeignaſt,
comme touteſfois lon en
trouue auiourd'huy,
graces à
Dieu: & ainſi Tertullian penſe
pouuoir eſtre
permis d'aller à
l'eſchole des Payens. Mais
ce conſeil eſt
bien dangereux, à
ceux principalement que
n'ont pas encore la diſcretion
pour laiſſer le mal &
prendre le bien. Et eſt
pour le plus
ſeur
de n'y aller point mais
aller à l'eſchole d'vn
maiſtre
fidele, ou eſtre
enſeigné en la maiſon.
I.Tim.6.10, Epheſ
5.5.
pourtant qui ne le boit pas. Et ainſi la neceſſité ſemble
excuſer celuy qui va à telles eſcholes pour apprendre : car
autrement il ne ||
pourroit apprendre. Et eſt plus licite à l'homme fidele d'aller
apprendre en telles eſcholes, que de les tenir & y enſeigner,
comme il luy eſt plus aiſé, eſtant diſciple, de fuir
& euiter toutes les ſouilleures de leurs feſtes & ſolennitez,
qu'il ne luy eſt pas aiſé, eſtant maiſtre, de ne les
frequenter. Mais il faut ſauoir touchant les trafiques & marchandiſes.
Or en premier lieu, ſi nous examinons les autres pechez, nous trouuerons
que la racine de tous maux c'eſt la conuoitiſe de gain, en laquelle
quelques vns eſtans empeſtrez, ont fait naufrage de la foy, laquelle
meſme conuoitiſe eſt appellee par l'Apoſtre Idolatrie.
Dauantage, il y a la menterie, qui eſt compagne ordinaire, & ſeruante
de ceſte conuoitiſe de gain. Ie me tais des faux ſermens qu'on
y fait communement : car les ſermens ſont entierement condamnez en
tels cas. Quoy donc? la marchandiſe peut-elle eſtre demenee par vn
homme Chreſtien? Si les hommes n'auoyent point ceſte conuoitiſe
de gaigner, beaucoup || de marchandiſes qui
ſont, ne ſeroyent point: car le moyen de gaigner eſt telle
trafique, & la cauſe ceſſante, telles trafiques ceſſeroyent.
Mais pourueu que ce ſoit vne trafique iuſte, ou lon ne trompe ni ne
mente point, elle eſt permiſe. Mais toute trafique qui ſert ou
à baſtir ou à repaiſtre l'idole, eſt crime d'idolatrie. N'eſt-ce
pas vne vraye idolatrie, quand on vend les marchandiſes oui leur ſont
ſacrifiees, comme l'encens & autres odeurs eſtranges? Ie fay
bien que telles marchandiſes nous peuuent ſeruir, ou és medecines,
ou pour enſeuelir les morts. Mais quand les pompes, les preſtres,
les ſacrifices des idoles ſont enrichis & faits par les dangers,
par la perte, par le ſouci & les voyages de ces trafiques, qu'es-tu
autre choſe ſinon vu procureur & petit ſolliciteur de la
gorre des idoles? Or pour ceci que perſonne ne penſe que lon peut
condamner toutes ſortes de trafiques par ce moyen. Car ie di que les
pechez où nous pouvions tomber, tant plus, ils ſont grans & enormes,
|| tant plus s'en faut-il ſongneuſement
garder, non ſeulement pour nous donner de garde de tomber en iceux, mais
en toute autre choſe en laquelle ils peuuent eſtre apperceus. Car
ſi c'eſt par mon moyen que telle faute ſe commet, c'eſt
tout vn, & cela ne m'excuſe pas de dire que c'eſt par autre
qu'elle eſt faite: car ie ne doy me rendre ſuiet, ni aider en choſe
qui ne m'eſt permiſe de faire. Et en ce meſme qu'il m'eſt
defendu de faire telle faute, ie doy mettre peine, que ie ne donne occaſion
aucune d'eſtre faite par autre quel qu'il ſoit. Pour exemple, ie
propoſe vn faict de non moindre conſequence, aſſauoir de
la paillardiſe & fornication, laquelle d'autant qu'elle m'eſt
defendue, ie ne doy ſeruir à aucun que ce ſoit pour ce faict ni de
ma peine, ni de ma conſcience. Et comme ie me doy retirer du bordeau
moy-meſme, ie cognoy auſſi que ie n'y doy ſeruir à autre
ni de maquereau, ni de moyen qui ſoit, encores qu'il y euſt à faire
gain. Autre exemple, La defenſe de ſacrifier aux || idoles
condamne auſſi & reiette de l'Egliſe le boucher qui tue la
beſte du ſacrifice, encore qu'il ne face pas luy-meſme ce qu'il
baille & laiſſe aux autres à faire, c'eſt à dire, qu'il
ne ſacrifie pas la beſte. Voici encores vn exemple plus approchant.
Si vn marchant publie, & fourniſſeur des beſtes à ſacrifier,
vient à l'Egliſe, luy permettra lon faire & continuer telle trafique
& marchandiſe? ou ſi eſtant fidele, il entreprend à la
faire, demourra-il en l'Eglile? Ie croy que non: comme ſi quelcun vouloir
auſſi ſupporter & endurer en l'Egliſe vn marchant
fourniſſeur d'encens à ſacriſier. Car combien que l'vn
fourniſſe de ſang & de beſte, l'autre d'encens &
d'odeur, c'eſt tout vn. Quoy? ſi premier que les idoles fuſſent
au monde, l'idolatrie toutesfois ſe faiſoit deſia par telles
drogues & encenſemens, & ſi encore maintenant, ſans
auoir vn idole, l'idolatrie ſe fait par ces bruſlemens d'odeurs, qui
eſt la choſe qui ſoit de plus grande importance pour entretenir
l'idolatrie, que || tel marchant fourniſſeur
d'encens? Car plus aiſément les idolatres ſe paſſent
d'idole, que d'encens. Interroguons meſme la conſcience d'vn tel
homme, auec quel viſage tel marchant ſe diſant Chreſtien,
oſera-il paſſer par le temple des idoles? De quelle façon
pourra-il ſe moquer, & eſteindre leurs autels fumans &
allumez, veu que c'eſt luy qui les fournie? En quelle confiance
Pour le temps de Tertullian
ceſte vertu d'exorcizer
duroit encore en
l'Egliſe,
auiourd'huy non.
exorcizera & chaſſera-il les diables qu'il nourrit, veu qu'il
fait de ſa maiſon vn grenier pour eux? Et encore qu'il euſt chaſſé
le diable, que pour cela il ne ſe flatte point: car il ne le chaſſe
pas comme ennemi, mais comme d'vn ami il peut fort aiſément obtenir
qu'il s'en voiſe, veu qu'il le nourrit tous les iours. Partant il faut
conclure qu'il n'y a meſtier, ni profeſſion, ni trafique, qui
ſerue & adminiſtre quelque choſe pour forger ou parer les
idoles, qui ſe puiſſe exempter du crime & nom d'idolatrie,
ſi nous ne voulons dire que l'idolatrie eſt autre choſe que le
feruice & peine que lon prend à honorer ||
ou faire honorer les images & idoles. C'eſt à tort que nous-nous
armons de la neceſſité de noſtre vie, quand apres auoir receu
la foy, nous difons, Ie n'ay autrement dequoy viure. Car il nous faut reſpondre
plus franchement à telle ſotte excuſe, c'eſt trop tard que
cela eſt allegué. Car à l'exemple de ce ſage & prudent baſtiſſeur,
il falloit premierement deliberer: car celuy-la premiere
Luc 14.38
ment
ſupputa les frais de ſon œuure & baſtiment auec ſes
facultez, de peur qu'ayant vne fois commencé, & ne pouuant parfaire, il
fuſt tout honteux. Et qui plus eſt, tu as le dict de noſtre
Seigneur, lequel t'oſte toute excuſe. Car qu'allegues-tu, Ie crain
d'auoir diſette? Et le Seigneur au contraire appelle ceux-là heureux,
Matt.5.10
qui ont faute pour ſon Nom. Tu dis, Ie n'ay dequoy viure: & luy il
Matt.6.28
dit, Ne ſoyez point ſollicitez de voſtre viure. Et auons meſme
l'exemple du lis, pour croire que Dieu nous veſtira.Tu dis, Ie n'auray
Luc 13.37
rien: & luy il dit, Qu'il faut vendre tout ce que tu as, & le donner
aux poures. Tu dis, ||
Il faut auoir ſoin de ſes enfans & de ſa poſterité:
& luy il dit, Perſonne n'eſt propre pour me ſeruir, qui met
la main à la charrue, & regarde derriere luy.
Luc 9.62
Tu dis, l'eſtois
achalandé, & couché en eſtat: & luy il dit, Nul ne peut ſeruir
Matt.6.24
à deux maiſtres. Si tu veux eſtre diſciple du
Seigneur, il eſt neceſſaire que tu ſuiues le Seigneur,
& que tu portes ta croix, c'eſt à dire tes afflictions & ennuis,
ou tu n'as que le corps, & non le cœur, en l'Egliſe de Chriſt:
car il faut laiſſer ſes parens, ſa femme, ſes enfans
pour ſeruir à Dieu. Tu doutes donc encore ſi tu delaiſſeras
ton meſtier ou profeſſion ou marchandiſe, à caufe de tes
parens ou de tes enfans. Mais deſlors que Iaques & Iean ont eſté
Marc 1.20
appellez du Seigneur, & delaiſſerent pour le ſuiure
leur pere & leur nacelle dés ce temps-là, il nous a eſté demonſtré
qu'il nous faloit quitter & enfans & meſtiers & marchandiſes
pour l'honneur de Dieu. Le meſme nous a eſté demonſtré, quand
Matthieu delaiſſa
Matth.9.2
fon peage: & le meſme auſſi,
puis que || c'eſt trop tardé pour homme
qui a la
Matt.8.21
foy, que d'attendre qu'il ait enſeueli ſon
pere. La foy ne craint point la faim, & fait auſſi hardiment
l'endurer pour Dieu, que toute autre forte de mort. Car puis que la foy n'a
point de peur de ſa vie meſme, comment l'auroit-elle de ſon
viure? Mais ſi quelcun dit, Le quantieme eſt-ce qui a fait ceci? Ie
reſpon, que ce qui eſt difficile aux hommes, eſt facile à
Dieu. Et en tout euenement ſi ne faut-il pas tellement nous flatter
ſous la miſericorde & bonté de Dieu, que nous-nous laſchions
la bride à commettre faict approchant de l'idolatrie : mais il nous faut fuir
meſme de bien loin toute haleine d'idolatrie autant que peſte, non
ſeulement és choſes dont nous auons parlé par ci deuant, mais en
toutes autres choſes & ſuperſtitions que les idolatres
font, ſoit à leurs dieux, ſoit à leurs morts, ſoit à leurs
Rois, comme eſtans toutes ces choſes propres & faites aux eſprits
immundes, ſoit que lon leur face ſacrifices, & cree preſtres,
ſoit que lon leur || face des ieux &
choſes ſemblables, ſoit que lon leur face iours de feſtes.
Mais touchant les ſacrifices & la preſtriſe des idoles,
qu'eſt-il beſoin que i'en parle d'auantage? D'autre part, nous auons
deſia eſcrit vn autre liure touchant les ieux & ſpectacles
& tels plaiſirs faits à l'honneur des idoles & images. Il reſte
à traiter des iours de feſtes & autres ſolennitez
extraordinaires, leſquelles nous auons accouſtumé d'imputer ou à
noſtre laſciueté, ou à noſtre timidité, pour nous excuſer
contre la diſcipline de l'Egliſe toutefois, & par leſquelles
ce pendant nous communiquons auec les Payens en leur idolatrie. Mais en
premier lieu ie parleray de ceci, ſauoir ſi vn vray ſeruiteur
de Dieu peut en bonne conſcience communiquer auec les infideles en
habits, en façon de viure, en ſortes de ieux ordonnez pour leurs feſtes.
En quoy il faut conſiderer que ce qui eſt dit par l'Apoſtre,
qu'il
Rom.12.15
faut rire auec ceux qui rient, & pleurer auec ceux qui
pleurent, ſe doit faire, quand nous ſommes auec perſonnes
fideles, || pour nous exhorter à vnion
2.Corint. 6.14.
mutuelle. Car ceci eſt touſiours vray, qu'il n'y a point de
communion entre la lumiere & les tenebres, la vie & la mort: autrement
nous contrediſons à ce que l'Eſcriture deuife en diſant, Le
Iean.16.20
monde s'eſiouyra, mais quant à vous, vous pleurerez. Que ſi nous
voulons rire auec le monde, il eſt à craindre que puis apres nous ne
plorions auſſi auec le monde. Mais ce pendant que ce monde s'eſiouit
, plorons, afin que quand il pleurera, nous-nous eſiouyflions. Âinſi,
pour exemple, Lazare eſtant mort, auoit ioye & refreſchiſſement
Luc.16.20
au ſein d'Abraham: & au contraire, le riche eſtoit en vn
perpetuel tourment de feu, pour monſtrer la diuerſe
recompenſe du bien & du mal qu'ils auoyent tous deux. Mais on dira,
Tels iours ſont iours aſſignez pour receuoir les preſens
qu'on nous fait de telles feſtes, leſquels preſens ſont
donnez à quelques vns pour honneur ſeulement, & aux autres ils
ſont payez comme choſe deuë. Quant à moy, diras-tu, ce iour ||
là ie receuray ſeulement ce que m'eſt deu, ou ie payeray à ce
iour-là ce que ie doy. Mais puis que telle couſtume de donner tels preſens
eſt introduite par vne pure ſuperſtition des hommes, pourquoy
prens-tu part és choſes conſacrees à telles feſtes & à
leurs idoles, toy qui as renoncé à toute telle vanité & menſonge?
Et quant à ce que tu allegues de payer ce iour-là, c'eſt vne faute:
comme s'il t'eſtoit enioint de payer preciſément ce iour-là, &
comme il vn autre iour tu ne pouuois pas auſſi bien payer ce que tu
dois, ou receuoir ce qui t'eſt deu, comme en ceſtui-ci. Paye vne
autre fois, ſans prendre nommément ce iour-là, ou reçoy vn autre iour,
& trouue vn moyen pour faire ton affaire autrement. Car pourquoy
celeras-tu ce que tu crois? car en le celant, tu polluës ta conſcience
par l'ignorance d'autruy. Si lon fait bien que tu es Chreſtien, on te
tente par ce moyen: & ce que tu fais, eſt contre la conſcience
de opinion de ceſt autre auquel tu as affaire, qui penſe que tu ne || fois
point Chreſtien: voire meſme qu'il fera bien ſemblant
quelquefois de ne tu cognoiſtre pas, afin que t'ayant tenté, & ayant
fait de toy ce qu'il veut, tu foi coulpable. Et certes ſoit en vne ſorte
ſoit en l'autre, tu es touſiours coulpable & confus deuant Dieu.
Or Chriſt dit, Qui aura eu honte de moy deuant les hommes, i'auray honte
Mat.10.33
de luy deuant mon pere qui eſt au ciel. Mais le ma? eſt, que pluſieurs
des fideles ſe ſont deſi? perſuadez qu'il faut quelquefois
pardonner & excuſer ce que font en tel cas les infideles, de peur que
le nom de Dieu leur ſoit en haine & fait blaſphemé. A quoy ie
di, que le blaſpheme du nom de Dieu, qu'il faut euiter, eſt, quand
quelcun des noſtres ou par tromperie, ou par tort ou iniuré, ou autre
caufe qu'il donne à vn infidele, luy donne iuſte occasion de blaſphemer
le nom de Dieu. Car en tel cas l'infidele iuſtement a en haine le nom de
noſtre Dieu, & Dieu meſme eſt prouoqué & courroucé.
Iſaie 52.5
Exech. 36.20.
Que ſi ce qui eſt efcrit, Mal-heurà celuy pour lequel mon Nom ||
eſt blaſphemé, ſe doit entendre de toute occaſion que
prennent les infideles de blaſphemer le nom de Dieu, nous ſommes
tous perdus: veu que ſans que nous donnions iuſte cauſe, tout
le peuple aſſemblé és marchez & places publiques,
ordinairement maudit & blaſpheme le nom de Dieu d'vne commune voix :
& ceſſons d'eſtre Chreſtiens, & ce peuple ne le
blaſphemera pl9. Mais au contraire continuons & perſeuerons
d'eſtre Chreſtiens, & qu'il ſoit blaſpheme par eux
tant qu'ils voudront, pourueu que ce ſoit d'autant que nous gardons la
docttrine de l'Euangile, & non d'autant que nous-nous en deſbauchons:
pourueu que ce ſoit d'autant que nous ſommes trouuez vrais, &
non d'autant que nous ſommes trouuez faux Chreſtiens: pourueu que ce
ſoit vn maudiſſon ietté par eux, qui nous teſmoigne
martyrs de Dieu, entant que lors nous ſommes cognus & approuuez vrais
Chreſtiens, quand pour la religion nous leur ſommes en execration.
Ce nous eſt benediction que leurs || maudiſſons,
Gal.1.10
pour auoir gardé la doctrine de Dieu. Et S.Paul dit, Si ie voulois plaire aux
hommes, ie ne ferois pas ſeruiteur de Chriſt. Mais quelcun dira, Le
1.Cor.10.33
meſme Apoſtre veut que nous-nous eſtudions à plaire à tous,
Comme moy-meſme, dit-il, ie plais à tous en toutes chofes. Mais ie
demande,eſt-ce en celebrant les feſtes Saturnales & Calendes de
Ianuier, qu'il plaiſoit aux hommes, ou bien parla modeſtie,
patience, grauité, humanité & rondeur? Et ainſi quand il dit autre
1.Cor.9.22.
part, I'ay eſté fait tout à to9, afin que ie gaignaſſe
tous: ſauoir ſi S. Paul a eſté idolatre auec les idolatres,
Pay en auec les Payens, mondain auec les mondains? Et combien qu'il ne defend
pas du tout de conuerſer auec les idolatres & paillars, & autres
pecheurs de ce monde (car comme il dit, il nous faudroit ſortir
1.Cor. 5. 10.
entierement de ce monde) toutefois pour cela il ne nous donne pas telle bride
en conuerſant & nous trouuant auec eux, que nous deuions pecher comme
eux ni auec eux. Car ce que ſainct Paul nous permet, ||
c'eſt pour les negoces de celle vie: mais de pecher auec eux, perſonne
ne nous le permettra iamais. Il eſt permis de faire ſes affaires
auec les infideles, mais il n'eſt pas permis d'eſtre auec eux iuſques
à la mort. Nous pouuons bien manger auec tous, & nous reſiouir auec,
en communiquant à leur nature, & non à leurs ſuperſtitions.
Car nous ſommes pareils & ſemblables à eux de nature &
d'ame, mais non pas de religion : & poſſeſſeurs du
monde auec eux, mais non pas de leur erreur. Or ſi no9 ne
pouuons iuſtement communiquer en mal auec les infideles & eſtrangers
de la foy, combien eſt-il plus pernicieux de le faire auec les
fideles & les freres? Car qui eſt-ce qui pourra dire ou ſouſtenir
qu'il eſt permis de le faire? Pour preuue de ceci, le ſainct Eſprit
reproche aux Iuifs leurs iours de feſtes. Mon ame, dit-il, a en haine vos
Iſa.1.14.
ſabbaths & nouuelles lunes & ceremonies. Comment donc
Comme la ſeſte
de ſainct Martin.
pouuons-nous frequenter les feſtes Saturnales, celebrer les Calendes de
Ianuier, le iour d'hyuer, la feſte des ||
matrones, donner preſens en ces iours-là, comme font les infideles,
faire eſtreines, ieux & banquets ſolennels: veu que les
Sabbaths, les nouuelles lunes & ceremonies, qui meſme quelque fois
ont eſté approuuees de Dieu, nous ſont auiourd'huy en haine &
deteſtation? O combien la foy des Payens pour leur religion eſt plus
ferme que la noftre! Car quant a eux, ils ne gardent aucune, feſte ni
ſolennité des Chreſtiens, ni iour de Dimanche, ni de Pentecoſte:
voire meſme s'ils les ſauoyent, ils ne feroyent leurs feſtes au
meſme iour que nous: car ils craindroyent d'eſtre eſtimez Chreſtiens.
Mais quant à nous, nous n'auons point peur d'eſtre iugez Payens. Si tu
veux prendre quelque repos, tu as iours pour ce faire, voire plus que les
Payens. Car d'eux, ils n'ont que le premier iour d'vn chacun an ſolennel:
& toy de huit iours en huit iours tu en as vn. Compte meſme tous les
iours des feſtes qui ſont chommees entre les Payens, & les
enfile, elles n'ont point autant de temps que la || Pentecoſte,
C'eſt à dire, cinquante iours.
laquelle ta chommes. Au reſte, touchant la lumiere qui eſt miſe
és meſmes iours de feſte, tu allegues qu'il eſt dit, Que vos
Mat.5.16
œuures reluiſent & ſoyent lumiere. Mais ie reſpon, que
maintenant ce ſont nos ouurouers & nos portes qui reluiſent de
lumiere, & non nos œuures. Car on trouuera plus de portes d'infideles eſtre
ſans luminaire, & ſans bouquets de laurier, aux iours des feſtes
Payennes, que non pas de portes de Chreſtiens. Ce qui vient bien a propos
pour diſputer: car il faut parler meſmement de ceci. Mais en brief,
il telle choſe eſt faite pour l'honneur de l'idole, ſans doute
tout honneur fait à l'idole, eſt idolatrie: ſi elle eſt faite
à noſtre aduis en faueur des hommes, ſachons que toute idolatrie a
eſté premierement eſtablie pour honorer les hommes. Sachons auſſi
que toute idolatrie eſt honneur fait aux hommes, attendu que les dieux
des Payens ont eſté purs hommes, comme il conſte entre eux-meſmes:
& n'y a point de difference, ſoit que telle ſuperſtition ||
ſoit eſtablie pour honorer les viuans, ſoit les morts. Car
l'idolatrie n'eſt pas condamnee pour les perſonnes eſquelles
elle eſt faite, mais pour autant qu'elle rend aux hommes le deuoir &
ſeruice
Luc 20.25
qui eſt inuenté du diable. Tu diras, Il faut
rendre à Ceſar ce qui eſt à Ceſar. Il eſt vray. Mais eſcoute
ce qui eſt adiouſté, Et faut rendre à Dieu ce que eſt à
Dieu. Demandes-tu qui ſont les choſes qui appartiennent à Ceſar?
Ce ſont celles deſquelles pour lors il eſtoit queſtion,
ſauoir, s'il fallait rendre à Ceſar le tribut, ou non. Et pour
donner à cognoiſtre cela, le Seigneur demanda qu'on luy monſtraſt
la ſorte de monnoye, & leur demanda de qui eſtoit ceſte
image. Et quand il eut ouy qu'elle eſtoit de Ceſar, il leur dit,
Rendez à Ceſar ce qui eſt à Cefar, & à Dieu ce qui eſt
à Dieu: ſauoir eſt, l'image de Ceſar qui eſtoit en ceſte
monnoye, à Ceſar, & l'image de Dieu qui eſt en l'homme, à
Dieu: afin que nous rendions à Ceſar noſtre taux de taille, &
que nous-nous rendions nous-meſmes à Dieu. Car que || demourra-il
à Dieu, il tout eſt à Ceſar? Tu repliqueras,c'eſt donc vn
honneur propre à Dieu, que d'auoir du luminaire à nos portes, & vne
branche de laurier ſur le ſueil de nos huis. Ie confeſſe
bien que ce n'eſt pas vn honneur propre à Dieu, mais ie di, que quand
ceci le fait, il ſe fait comme à celuy qui eſt eſtimé eſtre
Dieu, comme lon peut apperceuoir de ce qui apparoiſt notoirement: outre
qu'il y a encore vn mal pl9 ſecret, & operation en ceci
tendant à l'honneur des diables. Car nous deuons ſauoir, ſi
d'auenture faute d'auoir leu leurs liures, nous l'ignorons, qu'il y a eu entre
les Romains meſmes des dieux affignez aux portes, comme la deeſſe
Cardea, ou Gondonniere, qui eſtoit ainſi appellee, d'autant qu'elle
gardoit les gonds des portes : Le Dieu Forculus ou Huiſſerot, qui
preſidoit ſur les huis: le Dieu Limentinus ou Encrier, qui eſtoit
à l'entree : le dieu Ianus ou Portier, qui eſtoit à la porte. Or nous
ſanons que combien que ces noms ſoyent choſes vaines & || forgees
à plaiſir, toutefois que puis que lon y a mis quelque ſuperſtition,
ils attirent les diables & les eſprits immundes par le lien de Conſecration
& dedicace qui leur a eſté faite de telles choſes: car
autrement les diables n'ont point de propre nom, ſinon celuy des choſes
qui leur ſont dediees. Nous auons meſme leu, qu'entre les Grecs
Apollo s'appelle Thyreen, c'eſt à dire Porrier, par ce que les portes
luy ſont conſacrees, & qu'ils ont des demons, nommez Anthelij,
qui ſont dieux de leurs huis. Ce que le ſainct Eſprit ayant de
long temps preueu, l'a predit par ſon plus ancien Prophete Enoch, qu'on
auroit les huis & portes des logis en religion & ſuperſtition:
comme meſmes nous voyons qu'aux lieux des eſtuues publiques on adore
autres huis que ceux de nos maiſons ordinaires. Ainſi ſi ce que
lon adore, & que lon met par honneur aux portes & aux huis, appartient
à tels dieux, comme les idolatres le diſent, il eſt certain que le
luminaire & branche de laurier qui y eſt miſe, || leur
appartient auſſi, & y eſt miſe en leur honneur, &
que tu fais pour l'idole tout ce que tu mets à ton huis. En quoy il n'eſt
bon de celer ce que ie proteſte au nom de Dieu auoir eſté monſtré
à vn frere pour ie profit de tous. C'eſt que ie ſay vn frere fidele
auoir eſté de nuict & par viſion grieuement chaſtié,
duquel les ſeruiteurs auoyent couronné l'huis de laurier, pour les
bonnes nouuelles qui eſtoyent furuenues à la ville. Et toutefois ce n'eſtoit
point luy qui auoit couronné cette porte, ni commandé de le faire, meſme
auoit eſté voir ſi cela ſe faiſoit, & eſtant de
retour s'en eſtoit courroucé. Mais voila comme entiers Dieu en telles
choſes il faut bien inſtruire noſtre famille, & que telle
inſtruction eſt bonne & ſainte. Partant en ce qui touche
l'honneur que nous deuons aux Rois & aux Empereurs, nous auons vn aſſez
ample commandement de l'Apoſtre, que nous obeïſſions en tout
deuoir, & ſoyons ſuiets aux Magiſtrats, & Princes,
Rom.13.1
& Puiſſances: mais que le tout ſe face, nous ||
contenans dedans ceſte borne, que nous-nous ſeparions touſiours
de l'idolatrie. Et pour ce faict meſme peut beaucoup ſeruir
Dan.3.38
l'exemple des trois freres, qui eſtans en toutes autres choſes treſobeïſſans
au Roy Nabugodnozor, refuſerent toutefois conſtamment de faire
honneur à ſon image: demonſtrans par leur faict, que d'approuuer
tout ce qui s'eſleue à la façon de la hauteſſe de Dieu, eſt
vne pure idolatrie. Le meſme ſe doit dire de Daniel, qui fut treſobeïſſant
à Darius, & demeura en ſon office, iuſques à ce qu'il fut queſtion
de l'honneur de Dieu. Car de peur de le diminuer, il ne craignit non plus les
Lions du Roy, que ces trois premiers n'auoyent craint les feux. C'eſt
donc à faire à ceux qui n'ont aucune lumiere de Dieu, d'allumer tel
luminaire à leurs portes, de mettre au ſueil de leurs huis les branches
de laurier, pour les bruſſer apres : car c'eſt à eux leſquels
les feux menacent, c'eſt à eux auſquels tel teſmoignage
d'ignorance & tenebres appartient, & tel commencement des ||
Mat.5.14
Pſal.52.10.
peines d'enfer, & non à nous. Car quant au fidele, il eſt luy-meſme
la lumiere du monde, & l'arbre toujours verdoyant. Puis que tu as renoncé
au temple des idoles, ne fay point des portes de ta maiſon, vn temple
d'idole, le di trop peu: ie veux dire, puis que tu as renoncé au bordeau
d'idolatrie, ne fay point prendre à ta maiſon la face & l'enſeigne
de quelque nouueau bordeau. Mais touchant le faict & l'eſtat des
ſolennitez que tous gardent en leur priué, comme de porter longues
robbes ſimples & blanches le iour de fiançailles ou de nopces, ou le
iour que lon donne vn propre nom à quelcun: ie croy qu'il n'y a point là de
danger, pour dire que cela lente ſon idolatrie. Car il faut conſiderer
les cauſes pour leſquelles on fait cela, leſquelles i'eſtime
eſtre de ſoy bonnes & ſans reprehenſion: car ni telle
façon des habits d'homme, ni la façon de donner l'anneau des eſpouſailles,
ou de ſe baiſer, n'eſt deſcen-due d'aucune idolatrie. Et
ne ſay point qu'aucune ſorte d'habit fuſt maudit de ||
Dieu, ſinon quand l'homme prend celuy de la femme : car l'Eſcriture
Deut. 22. 5.
dit, Maudit eſt tout homme qui ſe veſt d'habit & en façon
de femme. Et la robbe longue de ſon propre nom eſt ſeante à vn
homme. D'autre part, touchant les nopces, Dieu ne defend point plus de faire
des nopces, que de prendre & de donner à quelcun vn propre nom. Mais lon
dira, Mais les ſacrifices des idoles ſe font en telles robbes. Ie reſpon,
que d'autant que lors ce que ie pren & porte telle robbe, n'eſt point
pour eſtre à aucuns ſacrifices, mais pour aider à mon ami en
ſon affaire, ie n'ay que faire du reſte: que le monde die ce qu'il
voudra. Et ſeroit bien veritablement à deſirer de ne voir iamais ce
qui ne nous eſt pas permis faire. Mais puis que l'idolatrie a tellement
enueloppé le monde, il conuient ſouuentes fois és choſes
indifferentes faire quelque choſe pour rendre le deuoir à vn ami, és
choſes ou il n'eſt aucunement queſtion d'honorer vn idole. Si
i'eſtois appellé à vne confrairie, ou ||
au banquet de ſacrifice & d'vne preſtriſe, ie n'irois
pas (car cela proprement appartient à l'honneur de l'idole) ni meſme ie
n'aiderois en telles affaires ni de conſeil, ni d'argent, ni de ma peine.
Si eſtant appelle pour eſtre preſent au ſacrifice, &
que i'y aille, ie ſuis idolatre: ſi ie ſuis appellé pour autre
cauſe pour faire plaiſir à vn infidele & idolatre, ie le puis
faire: autrement que feront les ſeruiteurs & les enfans eſtans
fideles, & les ſergens ou vaſſaux, qui ſuiuent leurs
maiſtres & ſeigneurs ſacrifians? Mais s'ils leur donnent le
vin quand ils ſacrifient, voire meſme s'ils leur aident d'vne ſeule
parole neceſſaire à leur ſacrifice, ils ſont coulpables
comme miniſtres de l'idolatrie. Retenons donc ceſte reigle, que nous
pouuons à l'exemple des Peres & Patriarches fuiure & accompagner les
Magiſtrats & les Rois, leur rendant le deuoir du ſeruice que
nous leur deuons: car quelques vns des Peres anciens ont fait tel ſeruice
aux Rois idolatres, ſous leſquels ils eſtoyent, & les ont || accompagnez
iuſques au lieu, & attendus iuſques à la fin du ſacrifice.
Or de ceci vne autre queſtion eſt ſortie, ſauoir ſi
vn vray ſeruiteur de Dieu, qui a quelque charge & eſtat en la
Republique, peut en bonne conſcience, ou par faueur, ou par fineſſe,
s'exempter de communiquer à aucun faict d'idolatrie, à laquelle toutesfois
les autres eſtans en meſme charge communiquer, comme nous voyons que
Ioſeph & Daniel ont adminiſtré les eſtats qu'ils auoyent,
ſans ſe polluer pourtant en l'idolatrie, & ont elle en honneur
& credit, portant l'eſcarlate en tout le pays d'Egypte & de
Babylone. Eſtimons donc que quand il ſe pourra faire que quelque
homme fidele puiſſe auoir quelque eſtat ou le titre meſme
en la Republique, & que ce pendant il ne ſacrifie point, ni n'authoriſe
par la prefence ou puiſſance les ſacrifices, ni n'achete les beſtes,
ni ne prenne aucun ſoin des temples, ni ne procure leur reuenu, ni ne
face aucuns ieux en l'honneur des idoles, ſoit de ſes propres || deniers,
ſoit de deniers communs, ni ne ſoit preſident pour les faire
iouer, pourueu auſſi qu'il ne prononce ni face edict pour
l'entretenement des idoles, que meſmes il ne face ni defere aucun ſerment
par eux, telles choſes gardees il peut demeurer en ſa charge: &
quant à l'exercice de ſa iuriſdiction, pourueu auſſi
qu'il ne condamne aucun ni de mort, ni d'infamie pour telles choſes,
qu'il ne luy face auſſi aucun preiugé, qu'il ne rempriſonne,
qu'il ne le tienne lié, ni ne luy donne la torture. Mais il eſt
difficile qu'il puiſſe euiter tout cela, eſtant en eſtat
public. Mais quant aux habits & marques de ſa charge, il ne faut
trouuer eſtrange qu'vn chacun ait ſa façon d'habits, autre pour
ſon priué, & autre pour ſa charge. Car pour exemple, l'eſcarlate
& la cheſne d'or au col eſtoyent aux Egyptiens & Babyloniens
les propres ornemens de leurs Magiſtrats, comme à nous Romains
auiourd'huy les robbes de droguet, les robbes à plein fond, les robbes
figurees, les couronnes d'or ſont || les
habits des Preſtres & Magiſtrats des prouinces : combien qu'il y
auoit meſme en ceci autre condition aux anciens qu'à nous. Car le temps
paſſé l'eſcarlate eſtoit donnée ſeulement pour
ſigne d'honneur à ceux que les Rois aimoyent : & pourtant tels
courtiſans eſtoyent appellez les Pourprez ou Eſcarlets du Roy,
pour l'eſcarlate qu'ils auoyent, comme encore auiourd'huj ceux qui
portent la robbe blanche à Rome, ſont appellez les Blanchets. Et n'y
auoit rien pour lors en tel habit, qui fuſt pour faire honneur aux
idoles. Car autrement ces ſaincts perſonnages & ſi conſtans
euſſent refuſé entierement les porter: & Daniel euſt
eu peur en les portant, de ſembler ſeruir aux idoles, comme à Baal
ou à Dragon, ce qu'en autre choſe puis apres il a fait & declaré.
De quoy nous pouuons iuger, qu'vne ſimple robbe d'eſcarlate, ſans
autre choſe, eſtoit ſeulement ſigne de la libre condition
de ceux qui la portoyent, & non de quelque dignité, Parquoy comme Ioſeph,
qui eſtoit || ſeruiteur, & comme
Daniel, qui eſtoit eſclaue & captif, ont porté l'eſcarlate
entre les Barbares, pour declarer que l'vn auoit obtenu droict de citoyen
Egyptien, & l'autre droict de citoyen Babylonien: ainfi auiourd'huy on
peut laiſſer porter aux enfans fideles, s'il eſt de beſoin,
ces robbes de droguet, & aux filles fideles les longues cottes, qui ſont
ſeulement marques de ce qu'elles ſont citoyennes libres, & non
d'aucune charge, & qui ſont ſignes de leur condition, & non
d'aucun honneur profane, & enſeignes du lieu dont elles ſont,
& non d'aucune ſuperſtition. Mais la pourpre & les autres
habits, qui ſont ordinaires & ſolennels à quelques eſtats
& charges, & ſont vouez à vne idolatrie meſlee auec tels eſtats,
apportent auec eux vne tache & profanation à ceux qui les ont: comme nous
voyons que lon porte par ſuperſtition ne plus ne moins vne ſorte
de droguets, & de robbe à plein fond, & de robbes figurees &
ſemees de larges cloux, deuant les idoles au iour de leur || feſte,
comme lon fait des flambeaux & des faiſſeaux de verges. Ce qui
ſe fait à bon droict: car comme les diables ſont princes de ce
monde, auſſi veulent-ils que lon porte deuant eux & la pourpre,
& les flambeaux des Princes & Magiſtrats idolatres, qui ſont
de leur college. Que te profitera-il à toy Chreſtien, il tu as tel
habit, & que tu ne faces le deuoir de la charge? Eſtime que perſonne
n'eſt iamais reputé eſtre pur entre ceux qui ne le ſont pas.
Car quand tu veſtiras ceſte ſorte de robbe, qui de ſoy eſt
ſouillée, eſtant ſigne d'idolatrie, il ſe pourra faire
que tu ne la pollueras pas dauantage: niais tu ne ſaurois ſembler eſtre
pur, pendant que tu la portes. Et quant à ce que voudrois alleguer de Ioſeph
& de Daniel, ſaches qu'il ne faut pas touſiours ni en tout faire
comparaiſon entre les choſes nouuelles & vieilles, entre les
rudes & les plus parfaites, entre les choſes commencees & celles
qui ſont accomplies, entre la condition d'vn ſeruiteur & celle
d'vn homme libre. Car || ceux deſquels tu
veux parler, eſtoyent ſeruiteurs & eſclaues de leur
condition: mais quant à toy tu n'es ſeruiteur de perſonne fors d'vn
ſeul Ieſus Chriſt qui meſme t'a deliuré de la captiuité
de ce monde, afin que tu viues & faces à ſon exemple. Car luy qui eſtoit
le ſouuerain Seigneur, a veſcu en ce monde en toute abiection &
humilité, n'ayant pas vne maiſon certaine pour ſe retirer, comme il
dit luy-meſme, Le Fils de l'homme n'a pas où il puiſſe repoſer
Mat.8.20
ſon chef. Quant à ſon veſtement, il eſtoit tout ſimple
& ſans parure: car autrement il n'euſt pas dit, Ceux qui ſont
Luc 7.25
veſtus delicatement & richement, voici ils ſont en la Cour des
Princes. Quant à ſon viſage & regard, il a eſté ſans
Iſaie 53.2
gloire, comme auoit predit Iſaie. Que puis que Chriſt n'a point
voulu, meſme entre les liens, exercer ni prattiquer aucune iuriſdiction,
veu que meſme il les a ſeruis en choſes viles: puis qu'il a
refuſé à eſtre fait Roy, luy qui toutesfois ſauoit bien eſtre
ordonné pour l'eſtre: il a en ceci donne vn ||
exemple à tous les ſiens pour les enſeigner à pouuoir viure
ſans porter marques ni de dignité ni d'eſtat. Car qui euſt peu
plus abondamment auoir tout ceci, que luy qui eſtoit Fils de Dieu?
Combien de flambeaux euſt-il eu pour marcher au deuant de luy, s'il euſt
voulu? quelle belle pourpre euſt reluy ſur ſes eſpaules?
Sur ſa teſte n'euſt-il pas eu du plus fin or, n'eſtoit
qu'il a eſtimé la gloire de ce monde eſtre contraire & à
ſoy & aux ſiens? Partant il faut conclure y que le Fils de Dieu
a reietté ce qu'il n'a point voulu prendre pour luy meſme; & s'il
l'a reietté, qu'il l'a condamné, & s'il l'a condamné, qu'il l'a tenu
pour gloire & pompe du diable. Et ſi celle pompe du mode eſtoit
ſienne, il ne l'euſt pas condamnee: & n'eſtant pas ſienne,
elle ne peut eſtre d'autre que du diable. Et quant au fidele, puis qu'il
a renoncé à la pompe du diable, qu'il ſache que tout ce qu'il en
attouchera, en cela il commet idolatrie. Et entre autres choſes que les
fideles curieux d'auoir charge en la Republique || doiuent
conſiderer, qu'ils regardent à ceci, que toutes les Seigneuries &
Puiſſances & magiſtrats de ce monde ſont pour le
iourd'huy,non ſeulement alienes, mais du tout & formellement ennemies
de Dieu: car c'eſt par elles que la mort & les ſupplices ſont
inuentez contre les ſeruiteurs de Dieu, & par elles meſmes les
peines ordonnees aux meſchans ſont abolies. Mais parauenture tu
crains & que ta vie, & que tes richeſſes te ſoyeut
ennuyeuſes, ne les employant point, de peur que tu idolatres en quelque
choſe. Ie reſpon, qu'il y a remede à cela, & que tu
te peux employer autre part: & encore que tu ne peuſſes, ſi
eſt-ce toutesfois que ce ſeul poinct te doit contenter & ſuffire,
& pour lequel tu es tres-heureux, aſſauoir, que viuant ainſi,
tu es non pas Magiſtrat en terre, mais au ciel. Or par ce qui a eſté
dit, lon peut ſauoir ce qu'il faut iuger touchant l'eſtat de la
guerre, & d'y aller, qui eſt choſe moyenne entre les dignitez
& les puiſſances: car elle participe de ces || deux.
Mais encore demande lon plus ſpecialement touchant ce poinct, ſauoir
ſi l'homme Chreſtien peut aller en nos guerres, & ſi auoir
vne charge en guerre, peut eſtre choſe permiſe à celuy qui a
la foy, ſoit charge de capitaine, ſoit autre moindre: pourueu
toutesfois qu'il ne ſoit point contraint d'immoler aux idoles, &
qu'il ne iuge point des cauſes capitales. Ie reſpon, qu'il n'y a
point de conuenance entre la foy promiſe à Dieu, & le ſerment
que lon fait en nos guerres, ni entre l'enſeigne de Chriſt &
l'enſeigne du diable, ni entre le camp de lumiere & le camp de
tenebres: & ne peut vne meſme ame ſeruir en ce cas à ces deux,
aſſauoir à Dieu de à Ceſar. Mais on dira, Moyſe n'a-il
pas porté ſa verge en guerre? Aaron auſſi n'y eſt-il pas
marché? Ioſué n'a-il pas conduit vne armee? le peuple n'a-il pas ſouuent
bataillé? Ie di que d'alleguer ceci, c'eſt ſe moquer, & que ce
n'eſt a propos. Car pour quelle cauſe le peuple a-il bataillé,
& pour quelle cauſe combat auiourd'huy vn || Chreſtien
ſous vn Prince idolatre? *
Quelque peu du texte a eſté
ici laiſſé ſans eſtre
traduit,
& pour cauſe.
Mais d'autant que noſtre vie & conuerſation
eſt en danger, non ſeulement quand on fait, mais auſſi
quand on dit quelque choſe d'idolatrie (comme il eſt eſcrit,
Luc 19.22
Pſal.16.4
Voici l'homme & ſes faits: item, Tu feras iuſtifié par ta
bouche) il nous faut prendre garde que nous ne tombions en idolatrie, meſme
par nos paroles, ou par accouſtumance vicieuſe, ou pour crainte que
nous auons de parler autrement. Car la Loy de Dieu nous defend meſmement
de nommer & auoir en la bouche le nom des dieux des Payens. Ce qui
s'entend ainſi, non que du tout il ne nous ſoit permis de nommer vn
idole, ou ſon nom: car les affaires de ceſte vie nous y contraignent
ſouuent, comme ſi nous voulons dire, Tel eſt au temple d'Eſculapius:
item, Ie demeure en la rue d'Iſis: item, Tel a eſté auiourd'huy
fait preſtre de Iuppiter: & ainſi en pluſieurs autres choſes,
d'autant que les hommes ont ainſi impoſé les noms. Et ie n'honore
point Saturne, quand ie le nomme ||
Saturne: & fay plus d'honneur à vn ſimple homme, portant ce prenom
Marc, de l'appeller Marc, qui vaut autant comme Maiſtre. L'Eſcriture
dit bien, que nous ne facions point mention d'eux comme de dieux, & que
ce mot ne ſorte point de noſtre bouche: car elle veut que nous ne
les appellions point dieux, comme il eſt dit en la premiere Table de la
Loy, Tu ne prendras point le Nom du Seigneur ton Dieu en vain. Ce qui ſe
fait, quand nous appellons les idoles dieux, ſans y adiouſter vne
queuë: & ainſi celuy parle comme vn idolatre, lequel les nomme
dieux. Et quand il les faut nommer dieux,il faut adiouſter quelque queuë,
afin qu'il apparoiſſe que nous ne les eſtimons point eſtre
dieux. Et pourtant quand l'Eſcriture les nomme dieux, elle adiouſte
leurs dieux, ou dieux eſtranges, & dieux des Payens: comme Dauid,
quand il dit, Les dieux des Gentils ſont des diables. Mais i'ay remonſtré
ceci pour ce qui enſuiura. Car il eu tout notoire qu'il y a des façons
de parler tirees d'vne || mauuaiſe accouſtumance,
comme quand nous diſons, Mehercule, Mediusfidius (qui eſt comme nous
diſons auiourd'huy, Par ma figue, ou par S.Pierre) & que beaucoup ne
penſent pas eſtre ſermens & façons de iurer par ces ſaincts
là & idoles, dont il ſe faut entierement abſtenir &
garder. Car tel ſerment, qu'eſt-ce autre choſe, ſinon
communication à l'idolatrie, & honorer ceux par le nom deſquels tu
iures? mais il y a des façons de pecher en ceci, par vne crainte qui eſt
en nous: comme quand quelque idolatre te preſence le ſerment, ou
fait obliger par le nom de ſes dieux & veut que tu les appelles en teſmoin,
c'eſt crainte ſi tu laiſſes paſſer cela ainſi
ſans mot dire, de peur que tu fois cognu Chreſtien. Çar en te taiſant
à cela, tu authoriſes & ratifies la maieſté des idoles, au nom
deſquels il t'a voulu obliger. Et ou que tu les eſtimes eſtre
dieux, ou que tu approuues & conſentes à celuy qui les eſtime,
quelle difference y a-il? ou que tu iures toy-meſmes par les idoles, ou
que tu accordes à || celuy qui t'y adiure?
Cognoiſſons que c'eſt vne ruze du diable, qui ne pouuant faire
ce qu'il veut par noſtre propre bouche, taſche à le faire par la
bouche des liens, afin de nous faire idolatrer parles aureilles. Et certes
quiconques eſt celuy qui nous adiure en ceſte forte, ou il eſt
ami, ou ennemi. S'il eſt ennemi, tu vois que c'eſt vn combat qui t'eſt
preſenté pour combatre contre l'idolatrie: s'il t'eſt ami, tu
iureras beaucoup plus aiſement, & ſans ſcrupule, au nom de
Dieu, & ofteras ce poinct de deſſus toy, par le moyen duquel
poinct le diable meſchant taſchoit à t'enuelopper en l'idolatrie.
Et ſupporter telles choſes eſt idolatrie: car tu honores ceux,
leſquels t'eſtans propoſez & mis en auant, tu as obey. Et
à propos de ceci, le cognoy bien quelcun, auquel le Seigneur face pardon, qui
eſtant aux plaids, ſon aduerſaire luy ayant dit ainſi
Iuppiter te ſoit courroucé & ennemi s'il eſt autrement, reſpondit
en public, Mais à toy. Or qu'euſt reſpondu autre choſe vn
Payen, qui euſt creu Iuppiter || eſtre
Dieu? Car encores qu'il ne luy euſt retourne vn maudiſſon par
Iuppiter, ou autre ſemblable à Iuppiter: toutesfois en cela qu'il
remaudiſſoit, & qu'il demonſtroit auoir en crainte la
malediction de Iuppiter, il declaroit aſſez auouër Iuppiter pour
quelque Dieu. Car à quelle fin craignoit-il la malediction de celuy qu'il
croie n'eſtre rien? Et s'il auoit peur de tel maudiſſon, voila
vne certaine idolatrie faite par crainte, & là approuuee: & quand il
a reietté le maudiſſon de Iuppiter ſur ſon aduerſe
partie, il a fait à ce dieu pareil honneur que celuy qui le premier luy auoit
dit. Et eſt le deuoir d'vn homme fidele en tel cas, de ſe moquer
& en rire, non pas d'eſtre ſot & craintif de telles
imprecations. Et en tout euenement ſelon la parole de Dieu, encores ne
faut-il pas remaudire au nom de Dieu, mais benir tout homme, afin que par ce
moyen lon ait en haine les idoles, & que lon glorifie le Nom de Dieu,
& que lon garde ſon commandement. Et comme l'homme fidele ne || ſe
ſoucie d'eſtre maudit par les idoles, auſſi n'y veut-il
point eſtre benit, pour touſiours reietter toute telle benediction
qui eſt pollue: mais il prendra & changera la forme de ſa
benediction au Nom de Dieu, pour la faire pure & ſaincte. Car eſtre
benit au nom des idoles, c'eſt eſtre maudit de Dieu. Si ie fay vne
aumoſne, ou autre bien à quelque perſonne, & qu'iceluy pour
remerciement me beniſſe au nom de ſes dieux, ou des dieux de
tout le pays, & que i'acquieſce, le bien & preſent que i'ay
fait, eſt dedié par ce moyen à l'honneur de tels dieux, au nom deſquels
il m'a remercié & fait recompenſe. Car pourquoy crains-ie que telle
perſonne ſache que ce que i'ay fait, ie l'ay fait au Nom de Dieu,
& ainſi que Dieu ſoit glorifié, & non les diables, en ce
que i'ay fait pour lon honneur? Et puis que Dieu voit bien que ie l'ay fait
pour ſon honneur, & qu'il cognoiſt auſſi que ie veux eſtre
ſeu que ie l'ay fait pour luy, pourquoy donc le donneray-ie par ma
crainte aux idoles, en permettant que || le
remerciement leur en ſoit attribué? Mais pluſieurs diſent pour
defenſe à ceci, Il ne faut ſe manifeſter & deſcouurir
ainſi. Auſquels ie reſpon, qu'il ne ſe faut nier ainſi
tel qu'on eſt, Or en toutes choſes, eſquelles vſans de diſſimulation
nous ſerons iugez ethniques & infideles, il ne ſe faut point
celer ni denier: & veritablement toute telle diſſimulation &
reniement eſt idolatrie, comme au contraire toute idolatrie eſt
reniement du vray Dieu: ce qui ſe fait & en dicts & en faicts.
Mais il y a encores vne autre ſorte & façon de deſguiſer
ſon idolatrie & en faicts & en dicts, deux fois plus fine &
ſubtile que celle dont nous auons parlé: combien que ceux qui la font,
s'y plaiſent, & diſent qu'elle ne l'eft ni en vne ni en autre
ſorte. Car quant à leur faict, il n'appert pas, & quant à ce qu'ils
ont dit, il n'eſt pas entre nos mains. Elle ſe fait comme quand
quelques-vns de l'Egliſe empruntent de l'argent des infideles, ils leur
baillent gages, & iurent auſſi par leurs idoles en l'obligé
qu'ils leur || donnent, & puis ils denient
à l'Egliſe l'auoir fait: & quand ils ſont enquis ſur ce
faict, ils demandent qu'on leur die, quand tel obligé a eſté
veu & pourſuiui en iuſtice, en quelle cour & plaidoyer cela
a eſté fait, qui eſt le iuge qui y a ouy telle cauſe &
proces. Et quand on leur remonſtre, Chriſt a defendu de iurer ainſi,
ils repliquent, Ie n'ay qu'eſcrit, ie n'ay rien dit: c'eſt la
langue, & non pas l'Eſcriture & lettre qui occit. Mais i'appelle
en teſmoin contre ces fins & ruzez idolatres ici, & leur propre
conſcience, & leur propre nature. Leur nature les condamnera, entant
que la main n'a peu rien eſcrire, que le cœur & l'eſprit n'y
ait penſé, encores que la langue ne l'ait dicté & prononcé. Et meſme
quand la langue dicte quelque choſe, qui eſt-ce qui la luy fournit
ſinon l'eſprit, ſoit qu'il inuente de ſoy, ſoit qu'il
apprenne d'vn autre? Et afin que tels gallans ne repliquent, Ce n'eſt pas
moy qui ay dicté ce ſerment, c'eſt vn autre: l'appelle ici leur conſcience
en teſmoin, ſi leur cœur n'a pas || acquieſcé
& ſouſſigné à ce que ceſt autre a dicté, &
ſi le cœur ne l'a pas fourni à la main, pour l'eſcrire ou ligner
comme ils ont fait, ſoit que leur langue n'ait rien dit, ſoit
autrement. Et eſt entierement contre eux ce que noſtre Seigneur dit,
Que les pechez ſe font du ſeul conſentement de nos cœurs &
conſciences. Si la mauuaiſe conſcience eſt en nous,
Matth.5.
dit-il, nous ſommes tenus pecheurs, comme l'ayant fait. Ce que telles
gens donc ſignent & iurent en leur obligé, eſt accordé en
leurs cœurs, & ne peuuent pretendre l'auoir ignoré, & ne l'auoir
voulu. Car quand ils l'ont eſcrit ou ſigné, ils l'ont ſceu:
quand ils l'ont ſceu, ils l'ont voulu, puis qu'ils le ont fait: &
faillent en leur faict & en leur cœur, & ne font leur faute d'auoir eſcrit
& ſouſſigné, en rien moindre ni plus legere, pour dire,
puis qu'ils n'ont point mis ce ſerment en l'obligé, quant a eux, que
pour l'auoir ſigné, ils ne l'ont pourtant fait, & que cela eſt
fauſſement eſcrit en l'obligé qu'ils ont fait. Il eſt
bien vray, diſent-ils, que nous n'auons ||
pas refuſé ni denié de le ſigner: car no9 ne
voulions pas iurer de noſtre langue, ni de propre bouche par leurs dieux,
comme on requeroit de nous. Mais ie di, qu'encores qu'ils ne l'euſſent
point ſigné ou eſcrit, que pour y auoir ſeulement conſenti,
à bon droict on peut dire qu'ils ſont autant comme s'ils auoyent iuré
par ces idoles. Ils reſpondent, que la voix ſourde d'vne eſcriture,
& le ſon muet d'vnes lettres ne leur
Luc 1.63
doit nuire. Mais ie
di, que ſi. Voila, Zacharie eſtant priué pour vn temps de l'vſage
de la parole, ne laiſſe point de parler en ſa penſee,
ſans vſer de ſa langue: & par ſes propres mains, comme
il feroit par ſa langue, il dicte ce qu'il veut dire, & prononce
ſans parole le nom de ſon fils, & a parlé par eſcrit,
& ſa main a eſté ouye, parlant en papier, beaucoup plus
clairement que s'il euſt parlé de la langue, & ſon eſcriture
a eſté mieux entendue que ſa voix. Demandes-tu s'il a parlé &
dit quelque choſe, veu qu'il appert qu'il a eſté entendu? Prions
pluſtoſt an Seigneur qu'il || nous
garde de la neceiſſté de faire tels contracts, ſans cercher
tant d'excuſes à noſtre faute: & ſi nous ſommes preſſez,
prions-le qu'il nous donne la puiſſance de beſongner pour viure
d'autre part, ou bien la conſtance & hardieſſe de rompre
toute telle occaſion & neceſſité: afin qu'vne telle eſcriture,
qui, quoy que nous nions, eſt autant que noſtre bouche & parole,
ne ſoit produite contre nous au iour du dernier iugement, non pas ſignee
de la main d'Aduocats, mais d'anges mauuais, aſſauoir des diables.
Partant prions que noſtre foy puiſſe nauiger, ayant l'eſprit
de Dieu pour les voiles, & paſſer tous ces rochers & deſtroits,
& tous ces abyſmes & creux d'idolatrie: laquelle foy demourra
ſauue, ſi elle ſe tient ſur ſes gardes, & en
ſeureté, ſi elle craint de ſe perdre. Car à la verité le
profond de l'idolatrie eſt tel, qu'on ne s'en peut arracher ſi on y
tombe. C'eſt vn naufrage, duquel ceux qui ſont ahurtez, ne ſe
peuuent ſauuer: c'eſt vn mollet & gouffre, auquel ceux qui y
ſont || deuorez, ne peuuent reſpirer
que l'idolatrie. Tout flot qu'elle a, nous ſuffoque: toute enfleure dont
elle eſt agitee, nous deualle puis apres aux enfers. Sur quoy perſonne
ne s'excuſe en diſant, Mais qui eſt-ce qui s'en pourra il bien
donner de garde en toutes choſes? Il faudroit ſortir du monde: car
ie reſpon, qu'il vaut autant & mieux ſortir de ce monde, qu'eſtre
idolatre. Et de faict, il n'y a rien plus aiſé que de ſe donner de
garde de tomber en idolatrie, ſi nous craignons pour le principal de no9,
aſſauoir pour noſtre ſalut: car tout autre danger que lon
nous pourroit propoſer, ſera trouué moindre que ceſtui-ci de
la perte de noſtre ſalut. Comme le S.Eſprit meſme dés les
premiers temps, les Apoſtres eſtans en deliberation touchant pareil
Actes 15.29
faict, declara que no9 auions liberté en toutes autres ceremonies,
pourueu que nous cuitions l'idolatrie. Et ceſte doit eſtre noſtre
reigle perpetuelle, & la deuons d'autant plus ſongneuſement
garder, comme elle eſt claire & ſeure, & propre à tous Chreſtiens,
& par laquelle nous ||
ſommes ſeparez & cognus autres que les infideles &
ethniques. Ceſte reigle doit eſtre en premier lieu propoſee à
tous ceux qui entrent en l'Egliſe, & inculquee & reïteree à
tous ceux qui ont la foy: afïn que ceux qui y entrent, regardent s'ils la
veulent fuiure, & que ceux qui ſont deſia accouſtumez à la
garder, perſeuerent à ce faire, & que ceux qui ne le font pas,
renoncent à eux-meſmes, pour viure ſelon icelle. Et ſur tout
conſiderons, que iaçoit qu'en la figure de l'Egliſe, qui nous a eſte
donnee en l'Arche de Noé, nous trouuions & chiens, & loups, &
ſerpens, & corbeaux, & huaz auoir eſté en l'Arche,
toutefois nous ne trouueros point qu'en la meſme Arche il y ait entré
aucun idolatre: d'autant qu'il n'y a ſorte de beſte, qui repreſente
& nous figure l'idolatre. Et pour autant que ce,dont la figure n'eſt
point entree en l'Arche, ſoit par nous chaſſé & mis hors
de l'Egliſe de Dieu.
FIN. ||
AV LECTEVR
AMI Lecteur, ayant eſté prié par vn certain ami de traduire en François ce petit Traité de Tertullian ie l'ay fait pour deux raiſons. La premiere, afin que les noſtres fuſſent inſtruits en combien de ſortes ils peuuent tomber ou conſentir a l'idolatrie, & par ce moyen l'euiter. La ſeconde, afin que ceux de la religion Romaine puiſſent cognoiſtre que ce n'eſt à tort que nous condamnons infinies façons de faire qu'ils retiennent entre-eux. Et combien que l'Eſcriture ſaincte ſoit ſuffiſante pour nous reſoudre ſur ces deux poincts, toutefois afin que lon cognoiſſe que nous ne ſommes deſpourueus de l'authorité des Peres & Anciens, nous auons bien voulu amener ceſtui-ci pour teſmoin: Te priant, ami Lecteur, conſiderer les façons de faire de ton temps, de ta nation ou de ton pais, & les examiner ſur les anciennes couſtumes des idolatres, comme a fait ici Tertullian, pour les condamner, & te ſeruir à ceſte fin de ce liure. A Dieu, De Gyen ce dernier de Nouembre,1564.
Traduit par M.L.Daneau, 1565. Print envoyé par P. Petitmengin. Proposé par Roger Pearse, 2005.
This page has been online since 14th May 2005.
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