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DOCTRINE DE TERTULLIEN (1).

[Par Dom Ceillier]

I. 

JUGEMENTS AVANTAGEUX QUE LES ANCIENS ONT PORTÉS SUR LES ÉCRITS DE TERTULLIEN.

Quelque tache que le montanisme ait imprimée à la réputation de Tertullien, ses ouvrages n'ont pas laissé de le faire regarder comme un des plus illustres écrivains de l'Eglise. Saint Cyprien les estimait tellement, qu'il ne manquait pas d'en lire tous les jours; et souvent, quand il les demandait, il disait: Donnez-moi mon maître. Ruffin l'appelle le plus célèbre de tous ceux qui ont écrit, et Vincent de Lérins en fait un éloge qui n'a rien d'égal. Il est, selon lui, entre les auteurs latins ce qu'Origène est entre les Grecs. Egalement consommé dans les lettres divines et humaines, il a comme renfermé dans la vaste étendue de son Esprit et de sa mémoire toute la philosophie des sages du monde, les maximes de toutes les différentes sectes, avec ce qu'il y a de plus curieux dans l'histoire et dans les sciences. Presque toujours victorieux de ceux qu'il avait entrepris de combattre, il accablait ses ennemis par la force et par le poids de ses raisons, et ses ouvrages |512 étaient comme autant de foudres qui ont réduit en cendres les blasphèmes des Juifs, des Gentils, des Gnostiques, et de tant d'autres qu'il a combattus dans ses écrits. La suite des paroles de Vincent de Lérins fait voir qu'il estimait les écrits que Tertullien composa étant catholique, mais encore plusieurs de ceux qu'il écrivit dans le schisme pour défendre la vérité. Nous rapporterons ici ce qui se trouve de plus remarquable dans les uns et dans les autres sur le dogme et sur la discipline de l'Eglise, particulièrement les points de doctrine dans lesquels il n'a jamais varié.

II. 

SA DOCTRINE SUR L'INSPIRATION DES LIVRES DE L'ECRITURE.

On ne voit point, par exemple, que Tertullien ait changé de sentiment au sujet de l'inspiration des livres de l'Ecriture. Soit catholique, soit montaniste, il a cru que les livres, tant du vieux que du nouveau Testament, étaient la parole de Dieu. Il soutient, comme les autres anciens, que le dernier des écrivains sacrés, c'est-à-dire des prophètes, est antérieur à tous les sages, à tous les législateurs et historiens profanes, et veut qu'on ait recours aux textes originaux pour corriger ce qui se trouve de défectueux dans les versions de l'Ecriture. C'est à Moïse qu'il attribue le Pentateuque, à Jérémie le livre qui porte le nom de Baruch, à Daniel le cantique des trois jeunes hommes dans la fournaise, les Proverbes et la Sagesse à Salomon. Quant au livre de l'Ecclésiastique, il ne marque point qui en est l'auteur, mais il le cite comme il a coutume de citer les livres de l'Ecriture sainte. Il en use de même à l'égard du quatrième livre d'Esdras, des Machabées, de Judith et de Job, sans témoigner qu'il eût aucun doute sur leur canonicité. Tous les livres de l'ancien Testament ayant souffert beaucoup d'altération dans les temps de désolation, Esdras les rétablit. Pour ce qui est de ceux du nouveau, il ne |513 reconnaît que quatre Evangiles, savoir, de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean. Mais il remarque que l'on avait coutume d'attribuer à saint Pierre celui de saint Marc, et à saint Paul celui de saint Luc. Il cite sous le nom de saint Barnabe ce que nous lisons dans l'Epître aux Hébreux, et l'Apocalypse sous celui de saint Jean l'Apôtre, auquel il attribue aussi les deux Epîtres qui portent son nom. Tant qu'il fut catholique, il parla avec honneur du livre du Pasteur; mais, une fois séparé de l'Eglise, et voyant que ce livre appelle à la pénitence les Chrétiens fornicateurs, aussi bien que les autres, ce qui était contraire à la rigueur des montanistes, il n'en parla plus qu'avec beaucoup de mépris. Quoiqu'il reconnaisse que le livre d'Enoch n'était point dans le canon des Juifs, et que de son temps plusieurs fissent difficulté de le recevoir, il ne laisse pas d'en soutenir l'autorité, s'appuyant sur l'endroit qui en est rapporté dans l'Epître de saint Jude. Il cite quelquefois l'Ecriture d'une manière différente de nos exemplaires; d'autrefois il attribue à un prophète ce que nous ne voyons point qu'il ait dit en effet. 

III. 

SUR LA TRINITÉ DES PERSONNES EN DIEU, ET LA DIVINITÉ DU VERBE.

Tertullien prouve en plus d'un endroit qu'il n'y a qu'un Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qu'il désigne sous le nom de Trinité. Ces trois personnes sont inséparables l'une de l'autre; et si quelquefois on dit que le Père est autre que le Fils et le Saint-Esprit, on le dit par nécessité, non pour marquer diversité, mais ordre, non division, mais distinction: il est autre en personne, non en substance. Le Père est toute la substance; le Fils en est un écoulement. On ne doit pas dire qu'il y ait deux Dieux ni deux Seigneurs; non que le Père ne soit Dieu, et le Fils Dieu, et le Saint-Esprit Dieu, mais |514 parce que le Fils n'est nommé Dieu que par l'union avec le Père. Si on doit nommer ensemble le Père et le Fils, on appellera le Père Dieu, et le Fils notre Seigneur Jésus-Christ, pour ne pas scandaliser les Gentils; mais, ajoute-t-il, quand je nommerai Jésus-Christ seul, je pourrai le nommer Dieu. Pour marquer la croyance de l'Eglise sur la Trinité, il relève la cérémonie mystérieuse qui s'observait alors dans le baptême, où l'on plongeait le néophyte non une seule fois, mais trois fois, pour chaque nom des personnes divines. Car, quoiqu'à cause de l'étroite union qui est entre le Père et le Fils, entre le Fils et le Saint-Esprit, le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient un en substance, ils sont néanmoins trois en personnes. Les noms de Dieu, de Tout-Puissant, de Très-Haut, et autres semblables que l'Ecriture donne au Père, conviennent aussi au Fils. Il nomme Parole le Fils, et ajoute que cette parole est une personne; que le Fils est le second après le Père; qu'il a toujours été dans le Père, et a été produit de lui sans en être séparé, qu'il en a été produit comme la plante de sa racine, le fleuve de sa source, le rayon du soleil; que, quoiqu'avant la création Dieu fût seul, puisqu'il n'y avait rien hors de lui, en lui, néanmoins, était la sagesse, la raison, et sa parole intérieure, qui se produisit ensuite au dehors et devint la parole extérieure. C'est en faisant allusion à cette génération ou prolation extérieure du Verbe, par laquelle Dieu dit: Que la lumière soit faite, que Tertullien avance dans son livre contre Hermogène, que le Fils n'a pas toujours été; sans préjudice toutefois de l'éternité du Verbe intérieur, qui est la sagesse.

IV. 

SUR LES DEUX NATURES EN JÉSUS-CHRIST, SUR L'ANNÉE DE SA NAISSANCE, DE SA PRÉDICATION ET DE SA MORT.

Il s'explique sur le mystère de l'incarnation du Verbe, en disant qu'il y a en Jésus-Christ deux substances non |515 confuses, mais jointes en une personne, le Dieu el l'homme. Chaque substance a conservé ses propriétés: l'esprit faisait des miracles, la chair souffrait. Ce n'est pas le Père qui a souffert, puisque le Fils se plaint sur la croix que son Père l'ait abandonné. Si c'était le Père, à quel Dieu s'adresserait-il? Il est parlé de Jésus-Christ; presque dans tous les psaumes, il y est représenté comme parlant à son Père. C'est le Fils de Dieu qui se montrait aux patriarches, et non le Père; c'est à l'image du Christ futur que l'homme a été créé. Tertullien place la naissance de Jésus-Christ en la quarante-unième année de l'empire d'Auguste; sa prédication, en la douzième de Tibère; sa mort, en la quinzième du règne du même prince, environ la trentième de Jésus-Christ; le huitième des calendes d'avril, le premier jour des azimes, auquel on devait manger la Pâque, sous le consulat de Rubellius Geminus, et de Fusius Geminus. C'est sur cet endroit qu'il faut corriger ce que Tertullien. dit ailleurs que Jésus-Christ est descendu du ciel en la quinzième année de Tibère.

V. 

SUR LA NATURE DE DIEU ET DES ÊTRES SPIRITUELS.

Il parle de la substance de Dieu et des anges, comme s'il l'avait crue corporelle ou matérielle. Mais, en examinant ses paroles, on voit, que, par le terme de corps ou de matière, il ne voulait dire autre chose sinon que Dieu est une substance vraiment existante, et que les anges en sont une aussi; car 1° il pose pour principe que le propre de la substance de Dieu est d'être esprit; ce qu'il dit également du Verbe qu'il dit être Dieu de Dieu, esprit d'esprit; 2° il distingue clairement dans le nombre des créatures, celles qui sont d'esprit d'avec celles qui ne sont que matière; 3° quand il dit que Dieu est corps, il ajoute qu'il l'est d'un genre qui lui est particulier; 4° enfin, sous le |516 nom de corps, Tertullien comprend toutes sortes de substances, soit corporelles, soit spirituelles; ce qui n'empêche pas qu'il nomme quelquefois substances spirituelles, celles qui le sont en effet, comme les anges, bons ou mauvais. Il dit que ceux-ci ont été condamnés pour avoir révélé aux femmes qu'ils aimaient, les secrets qui leur avaient été confiés.

VI. 

SUR L'IMMORTALITÉ DE L'AME, SUR LE LIBRE ARBITRE.

Tertullien enseigne que l'ame est immortelle de sa nature; que, de même que tous les hommes ont naturellement la connaissance d'un Dieu, plusieurs connaissent que leur ame est immortelle; qu'elle se connaît elle-même; qu'après sa séparation d'avec le corps, elle sera punie dans les enfers si elle l'a mérité, ou récompensée dans le ciel sans attendre la résurrection de son corps, sans lequel néanmoins son bonheur ou son supplice ne sera point entier; que l'on expie les fautes légères après la mort, en attendant la résurrection; que l'homme étant doué du libre arbitre, il est en son pouvoir d'obéir ou de désobéir à la loi de son Dieu, de même qu'il était au pouvoir d'Adam de ne point pécher.

VII. 

SUR LA NÉCESSITÉ DE LA GRACE, L'UTILITÉ DE LA CRAINTE, LA CONTINENCE ET LE MENSONGE.

Il reconnaît que, pour faire le bien, nous avons besoin du secours de la grâce de Dieu, qui la donne à qui il lui plaît et selon son bon plaisir; que cette grâce est victorieuse et plus forte que la nature, dont elle surmonte la résistance; que la crainte de Dieu est dans l'homme un acte de religion; qu'elle est le commencement du salut, et que |517 sans elle il n'y a point de sincère pénitence. Il préfère la virginité et la continence au mariage, et condamne toute sorte de mensonge, même les équivoques et les restrictions mentales.

VIII. 

SUR L'ÉGLISE ET LE SACREMENT DE BAPTÊME.

Il dit que l'arche de Noé et la nacelle de saint Pierre étaient des figures de l'Eglise, dont les hérétiques cessent d'être membres aussitôt qu'ils s'en sont séparés, en abandonnant la vérité; que, depuis l'avènement de Jésus-Christ, le Saint-Esprit n'est plus dans la synagogue; qu'en fait de religion, on ne doit pas contraindre, mais persuader. Quelques Chrétiens, par un zèle indiscret, s'étaient fait baptiser pour procurer du soulagement à leurs amis morts sans baptême. Tertullien désapprouve cet usage, et le compare aux purifications que les païens faisaient pour les morts. Parlant du baptême, il dit qu'avant de le recevoir, le catéchumène renonçait par trois fois différentes au démon, à ses pompes et à ses anges; qu'ensuite il était plongé trois fois, répondant quelque chose au-delà de ce que le Seigneur a déterminé dans l'Evangile; qu'étant lavé de ses fautes, on lui donnait à goûter du lait et du miel, et que, depuis ce jour, il devait s'abstenir du pain ordinaire pendant toute la semaine. On se disposait au baptême par de fréquentes oraisons, par des jeûnes, des génuflexions et par la confession secrète de ses péchés. Le temps destiné au baptême solennel est celui de la cinquantaine de Pâque; mais on le donnait en tout temps, lorsqu'il y avait nécessité. C'était à l'évêque à administrer le baptême, les prêtres néanmoins et les diacres avaient le pouvoir de le conférer avec la permission de l'évêque; les laïques mêmes le pouvaient dans le cas de nécessité. On plongeait trois fois dans l'eau celui que l'on baptisait, |518 à chaque fois que l'on nommait une des personnes de la sainte Trinité, pour marquer la croyance de l'Eglise sur ce mystère. Cela se pratiquait tant pour les enfants que pour les personnes plus avancées en âge. Il paraît cependant que Tertullien n'était point d'avis qu'on baptisât les premiers avant l'usage de la raison, lorsqu'il n'y avait aucun danger de mort, craignant qu'en leur donnant le baptême aussitôt après leur naissance, on n'exposât les parrains à promettre dans le baptême ce que le baptisé ne voudrait peut-être point exécuter dans la suite. En cela on peut l'excuser si on l'entend des enfants des païens ou des autres dont l'éducation était en péril. Il veut encore que l'on diffère le baptême des adultes qui ne sont point mariés, jusqu'à ce qu'ils se marient, ou qu'ils soient fortifiés dans la continence. Tertullien parle de l'ange qui préside au baptême. Il dit que les Apôtres avant le jour de la Pentecôte donnaient le baptême de saint Jean pour préparer à la grâce; il n'y avait point de différence d'être baptisé dans la mer, dans un étang, une rivière, une fontaine, une mare, un bassin; que Dieu peut accorder la grâce du baptême à la foi de celui qui en a le désir; qu'on obtient encore cette grâce par le martyre. Le péché originel, avec lequel nous naissons tous, nous rend le baptême indispensable; et nous sommes toujours impurs et coupables aux yeux de Dieu, tant que nous n'avons point été régénérés dans l'eau. La circoncision ne produisait pas le même effet; elle ne servait aux Israélites que pour les distinguer des autres peuples.

IX. 

SUR LA CONFIRMATION.

Au sortir de l'eau, le nouveau baptisé reçoit l'onction; d'où lui vient le nom de chrétien. Ensuite on lui impose les mains avec la bénédiction et l'invocation du |519 Saint-Esprit. Tertullien ne pouvait marquer plus clairement le sacrement de confirmation; et une preuve qu'il distingue ce sacrement de celui du baptême, c'est qu'il leur attribue des effets distincts: au baptême, la rémission des péchés; à l'onction et à l'imposition des mains qui suivent le baptême, le don du Saint-Esprit. Il distingue encore ailleurs ces deux sacrements en disant: On lave la chair pour purifier l'ame; on oint la chair pour consacrer l'ame; on fait sur la chair le signe de la croix pour fortifier l'ame; on recouvre la chair par l'imposition des mains, afin que l'ame soit éclairée par l'Esprit. La chair mange le corps et boit le sang de Jésus-Christ, afin que l'ame soit engraissée de Dieu même.

X. 

SUR L'EUCHARISTIE.

Ces dernières paroles ne laissent aucun lieu de douter que Tertullien n'ait reconnu la présence réelle dans l'Eucharistie. Il l'enseigne encore dans un autre endroit, où il dit que Jésus-Christ après avoir pris du pain le changea en son corps en disant: Ceci est mon corps. Il est vrai qu'il ajoute que le pain qu'il venait de changer en son corps en était la figure; mais il faut remarquer que Tertullien ne parle ainsi que dans les livres contre Marcion, où il avait à prouver que les ouvrages du Créateur sont bons. A cet effet il allègue le pain pour exemple, et dit que Marcion ne pouvait le regarder comme mauvais, puisque Jésus-Christ, qu'il reconnaissait pour Messie, l'avait changé en son propre corps, dont le pain offert par Melchisédech était la figure, de même que celui dont parle Jérémie en ces termes: Pour moi, j'étais comme un agneau plein de douceur, qu'on porte pour en faire une victime, et je n'avais point su les entreprises qu'ils avaient formées contre moi en disant: Mettons du bois dans son pain, |520 exterminons-le de la terre des vivants, et que son nom soit effacé de la mémoire des hommes. Tertullien se sert du terme de sacrifice, pour marquer la célébration du mystère de l'Eucharistie. Les Chrétiens s'assemblaient avant le jour pour le célébrer; chacun y recevait le corps de Jésus-Christ dans sa main, et après s'en être communié dans l'église, ils le portaient dans leurs maisons pour s'en communier avant le repas. Les fidèles se donnaient aussi dans l'église le baiser de paix, après la prière publique, excepté les jours de jeûne solennel, comme la nuit de Pâque. Il y en avait qui s'en abstenaient aussi lorsqu'ils jeûnaient en particulier, et qui s'abstenaient encore des prières du sacrifice les jours de station, sous prétexte qu'en recevant le corps de Jésus-Christ, on rompait le jeûne. Mais Tertullien les condamne, et veut qu'ils se conforment en tout à l'usage de l'Eglise, en sorte que tous assistent aux prières du sacrifice. Il permet néanmoins à ceux qui s'imposent des jeûnes particuliers de différer la communion du corps de Jésus-Christ jusqu'à l'heure de leur repas.

XI. 

SUR LA PÉNITENCE.

Si l'homme n'eût point péché, il ne serait pas mort. Jésus-Christ est le seul homme qui soit exempt du péché, parce qu'il est en même temps Dieu et homme. De là vient la nécessité de la pénitence pour les autres. Elle est nécessaire pour tous les péchés du corps ou de l'esprit, d'action ou de pensée ou de volonté. Mais on n'accordait qu'une seule fois la pénitence publique, dont Tertullien marque les cérémonies, en disant: que pour adoucir les frères en faveur du coupable, on le faisait prosterner au milieu de la place, devant les veuves et les prêtres, avec le cilice et la cendre, défiguré à faire horreur, les prenant |521 fous par leurs habits, baisant leurs pieds, embrassant leurs genoux. Quoique les catéchumènes confessassent leurs péchés avant de recevoir le baptême, on ne leur imposait point de pénitence pour les péchés commis dans l'ignorance. Quelquefois l'Eglise accordait le pardon des pénitents aux prières des martyrs. Dans le second livre contre Marcion, il y a un passage favorable à la confession des péchés. Dans le traité de la Pénitence, l'auteur marque assez clairement que c'était la coutume de déclarer, même en public, les péchés secrets, puisqu'il ne laisse d'autre moyen au pécheur pour recevoir l'absolution de son crime, que de le confesser publiquement.

XII. 

SUR LE MARIAGE, SUR LA CONTINENCE ET LA MONOGAMIE.

Dès le temps de Tertullien, on regardait les unions cachées, ou les mariages clandestins, comme illicites, et à peu près comme des adultères et des fornications. Quoiqu'il fasse honneur aux montanistes de cette juste sévérité, il y a néanmoins toute apparence que ces mariages n'étaient pas mieux reçus chez les catholiques, qui avaient coutume de déclarer les leurs dans l'Eglise, ainsi que le dit Tertullien dans son second livre à sa Femme, où représentant le bonheur d'un mariage chrétien, il dit que l'Eglise en fait le traité, que l'oblation le confirme, que la bénédiction en est le sceau, que les anges le rapportent au Père céleste, qui le ratifie. Il ajoute qu'il n'était point permis aux enfants de contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère; on voit par un autre endroit que c'était l'évêque, avec ses prêtres et ses diacres, qui administrait le sacrement de mariage; car Tertullien témoigne que c'était à eux que l'on s'adressait pour être marié. Il dit que plusieurs s'engageaient à la continence aussitôt après leur baptême; qu'il y en avait beaucoup qui la gardaient |522 dans le mariage d'un consentement mutuel; d'autres qui restaient dans la viduité; d'autres enfin qui demeuraient vierges toute leur vie; le nombre en était grand, surtout parmi ceux qui étaient employés au ministère de l'Eglise. On n'admettait point au rang des prêtres ou des veuves ceux qui avaient été mariés plusieurs fois, et Tertullien assure qu'on en avait déposé quelques-uns pour avoir plus d'une femme.

XIII. 

SUR LES ASSEMBLÉES DES FIDÈLES ET CE QUI S'Y PASSAIT.

Les Chrétiens s'assemblaient dès-lors certains jours pour prier Dieu et pour lire les divines Ecritures. Là se faisaient les exhortations et les corrections. Si quelqu'un avait péché d'une manière grave, on le privait de la communication des prières, des assemblées et de tout commerce de piété: ceux qui y présidaient étaient des vieillards les plus éprouvés, et ils arrivaient à cet honneur non par argent, mais par le témoignage de leur mérite. L'Eglise avait toutefois un trésor; chacun y apportait quelque peu d'argent tous les mois, ou quand il voulait, selon sa volonté et son pouvoir; on n'y contraignait personne: c'était comme un dépôt de piété qui ne s'employait pas en festins inutiles, mais à nourrir et enterrer les pauvres, à entretenir les enfants orphelins, les vieillards, ceux qui avaient fait, naufrage, ceux qui travaillaient aux mines, qui étaient relégués dans des îles, ou prisonniers pour la cause de Dieu. Ils se désignaient tous par le nom de frères, et chez eux tout était commun, hors les femmes. Ils donnaient aux repas communs qu'ils faisaient dans leurs assemblées le nom d'agapes, qui signifie en grec charité. Les pauvres y avaient part comme les riches; mais les évêques recevaient par honneur double portion. On n'y souffrait ni bassesse ni immodestie; ils ne se mettaient à table qu'après avoir fait la |523 prière à Dieu. Ils mangeaient autant qu'ils avaient faim, ils buvaient autant qu'il était utile, sans nuire à la pureté; ils s'entretenaient comme sachant que Dieu les écoutait. Après que l'on s'était lavé les mains et que les lampes étaient allumées, on invitait chacun à chanter les louanges de Dieu, qu'il tirait des saintes Ecritures, ou qu'il composait lui-même. On voyait par là comment il avait bu; le repas finissait aussi par la prière, ensuite on se séparait avec pudeur et modestie.

XIV. 

SIGNES DE CROIX, HEURES DE PRIÈRES SOLENNELLES, PRIÈRES POUR LES MORTS.

A toutes leurs démarches, en se chaussant, en se baignant, se mettant à table ou au lit, prenant un siège, allumant une lampe, à quelque action que ce fût, les chrétiens marquaient leur front du signe de la croix. Ils commençaient toutes leurs prières par l'oraison Dominicale, et priaient tournés à l'Orient, les mains étendues vers le Ciel en forme de croix, les yeux baissés, et à voix basse. Les prières solennelles se faisaient à tierce, à sexte et à none. Tous les ans on faisait dans l'Eglise des oblations pour les défunts, et pour les fêtes des martyrs. Les fidèles aussi avaient soin de prier pour les morts, et faisaient pour eux des offrandes annuelles, demandant à Dieu de leur accorder le rafraîchissement et la participation à la résurrection première. Lorsqu'un Chrétien s'était endormi en paix, un prêtre assistait à ses funérailles, en faisant pour lui des prières, et on se servait d'aromates pour l'ensevelir. |524 

XV. 

JEUNE DU CARÊME ET AUTRES DE DÉVOTION.

Les Catholiques ne reconnaissaient pour jeûnes d'obligation que ceux qui précédaient la Pâque, en mémoire de la passion de Jésus-Christ. Ce jeûne durait jusqu'au soir. Il y avait néanmoins d'autres jeûnes, mais qui n'étaient que de dévotion, savoir, toutes les semaines, la quatrième et sixième férie: ce jeûne s'appelait la station; quelquefois aussi les évêques en ordonnaient pour le besoin des églises, et les fidèles s'en imposaient par une dévotion particulière. Ces jeûnes de dévotion ne duraient que jusqu'à none. Quelques-uns ajoutaient au jeûne la xérophagie, c'est-à-dire l'usage des aliments secs, s'abstenant non-seulement de la chair et du vin, mais aussi des fruits vineux et succulents. D'autres se réduisaient au pain et à l'eau. Il n'était permis à personne de jeûner le dimanche, ni de prier à genoux ce jour-là; on jouissait du même privilège depuis le jour de Pâque jusqu'à la Pentecôte. Ces cinquante jours étaient destinés à la joie.

XVI. 

MOEURS DES CHRÉTIENS.

Tertullien nous fait encore remarquer que les Chrétiens usaient de la même nourriture que les païens, des mêmes habits, des mêmes meubles; qu'ils se trouvaient avec eux aux places publiques, aux marchés, aux foires, aux bains, dans les boutiques, dans les hôtelleries, et sur mer; qu'ils trafiquaient avec eux, qu'ils portaient les armes, labouraient et faisaient les mêmes métiers; qu'ils étaient exacts à payer les tributs aux princes; que dans leurs prières ils demandaient à Dieu pour les empereurs une longue vie, |525 un règne tranquille, la sûreté dans leur maison, la valeur dans les troupes, la fidélité dans le sénat, la probité dans le peuple, le repos par tout le monde, et tout ce que peut désirer un homme et un empereur; qu'ils ne juraient point par le génie de César, sachant que les génies sont des démons, mais par sa santé; que dès-lors le nombre des Chrétiens était si grand, que, s'ils eussent voulu, ils n'auraient manqué ni de forces ni de troupes pour combattre leurs ennemis; mais c'étaient une de leurs maximes de souffrir la mort plutôt que de la donner; qu'ils avaient pour les païens mêmes tant de charité, qu'ils chassaient de leurs corps les démons dont ils étaient possédés, et que le pouvoir de conjurer ces esprits immondes était commun à tous les Chrétiens; qu'ils s'abstenaient de manger du sang des animaux.

XVII. 

Quelque rigide que fût Tertullien, il ne croyait pas qu'il fût défendu aux Chrétiens d'assister aux sacrifices et aux cérémonies des païens, pour une cause honnête, pourvu qu'ils ne contribuassent en rien au culte des idoles. Il enseigne que sans Dieu on ne peut connaître la vérité, ni Dieu sans Jésus-Christ, ni Jésus-Christ sans le Saint-Esprit, ni le Saint-Esprit sans le sacrement de la foi, c'est-à-dire sans le baptême; que ceux-là n'ont la connaissance d'aucune vérité qui ne connaissent point le Dieu de vérité; que les préceptes du Décalogue sont le droit naturel; qu'il n'y a point d'autres règles de nos actions que la volonté de Dieu, et que ce que Dieu condamne ne peut jamais être permis dans quelque circonstance que l'on se trouve, ou dans quelque opinion que l'on soit; que tout ce qui ne vient pas de Dieu est corrompu; ce qu'il dit au sujet de la chasteté des païens: que Dieu n'avait pas absolument défendu aux Israélites d'avoir des images, mais seulement de les |526 adorer; que le seul motif de l'incarnation était de délivrer l'homme du péché: il remarque que les Catholiques peignaient sur leurs calices l'image du Bon Pasteur. En faisant la description de la figure de la croix, il dit qu'outre les quatre extrémités ordinaires, il y avait au milieu un siège pour le patient. Il assure que le miracle de l'obscurcissement du soleil, qui arriva à la mort de Jésus-Christ, était consigné dans les archives de la ville de Rome; que Pilate, déjà Chrétien dans le cœur, écrivit à Tibère, qui régnait alors, pour l'instruire de tout ce qui regardait Jésus-Christ, et que ce prince proposa au sénat de le mettre au nombre des dieux de l'empire; mais que le sénat l'ayant refusé, sans changer pour cela de sentiment, il menaça de peines ceux qui accuseraient les Chrétiens; que l'on avait dressé à Simon le magicien une statue avec cette inscription: Le Dieu saint; que de son temps les Juifs erraient par tout le monde sans avoir ni Dieu ni homme pour chef, et qu'il ne leur était pas permis de mettre le pied dans leur pays, même comme étrangers. C'est sans doute en partie à ce désastre de la nation Juive qu'on doit rapporter ce que dit ailleurs Tertullien, que l'on voyait tous les jours les prophéties vérifiées par l'effet; ajoutant que c'était une preuve de celles qui n'étaient pas encore accomplies. On peut encore remarquer qu'il semble avoir cru que Jésus-Christ n'était point beau de visage, et que Marie, quoique vierge, en tant qu'elle a conçu sans connaître d'homme, n'a pas été vierge dans son accouchement, en tant qu'elle a enfanté à la manière des autres femmes. Cet endroit peut servir à expliquer ce qu'il dit dans son traité de la Monogamie, que la Vierge fut mariée après son enfantement. Car on ne doit pas prendre à la rigueur ces dernières paroles, puisqu'immédiatement après il ajoute que la Vierge n'avait été mariée qu'une fois; ce qui ne serait point vrai si, outre saint Joseph qu'elle épousa avant son enfantement, elle eût pris un autre époux après lui. Toutefois, Helvide, qui niait que Marie fût restée |527 vierge après qu'elle eut mis au monde Jésus-Christ, objectant qu'il suivait en cela le sentiment de Tertullien, saint Jérôme ne lui répondit autre chose, sinon qu'il ne pouvait s'autoriser d'un homme qui avait écrit hors de l'Eglise. Il est bon aussi de remarquer que, selon Tertullien, la grande Babylone dont il est parlé dans l'Apocalypse de saint Jean, désignait Rome, alors païenne, et coupable du sang des martyrs; que saint Pierre et saint Paul souffrirent le martyre dans cette ville, et que saint Jean y fut plongé dans de l'huile bouillante.

XVIII. 

SENTIMENTS PARTICULIERS DE TERTULLIEN. ---- SES ERREURS.

Voilà ce que les écrits de Tertullien nous fournissent de plus utile pour la connaissance des dogmes et de la discipline de l'Eglise. Mais on y trouve divers sentiments peu conformes à la vérité orthodoxe, et auxquels il n'est pas aisé de donner un bon sens. Il a cru comme plusieurs autres anciens, tant Juifs que Chrétiens, que les anges avaient péché avec les femmes des hommes, attribuant ainsi aux anges ce que l'Ecriture dit des enfants de Dieu, c'est-à-dire des fils de Seth. Selon lui, l'ame a un sexe particulier, étant elle-même mâle ou femelle. Il lui donne les mêmes dimensions qu'au corps, la longueur, la largeur, la profondeur, ajoutant qu'elle a la forme et la figure du corps humain; qu'elle est palpable, transparente, et de la couleur de l'air. Il croyait encore que les ames venaient l'une de l'autre, par une espèce de production et de propagation, en sorte qu'il n'était pas besoin que Dieu en créât de nouvelles. Dans le livre du Paradis, qui n'est pas arrivé jusqu'à nous, il s'était efforcé de montrer que toutes les ames, soit des bons, soit des méchants, sont retenues dans les enfers jusqu'au jour du jugement. Il en exceptait seulement les ames des martyrs, qu'il plaçait dans le paradis. Depuis, il |528 changea de sentiment, et distingua les enfers du sein d'Abraham, et le sein d'Abraham du paradis. Il mettait les ames des méchants dans le premier de ces lieux; le second, qu'il dit être une région plus sublime que les enfers, mais différente du ciel, était pour les ames des saints, soit Juifs, soit Gentils, qui y attendaient la résurrection. Les martyrs étaient reçus dans le paradis, et y jouissaient de Dieu. Il paraît même y avoir donné place indistinctement aux esprits des saints. Tertullien représentait le paradis comme un lieu d'une beauté divine, séparé de la connaissance de notre monde par la zone de feu, ainsi que par une muraille. Il donna aussi dans l'opinion des Millénaires, l'entendant, toutefois, d'une manière spirituelle. Il semble que ce soit pour l'autoriser qu'il rapporte un prodige arrivé en Judée, dans la guerre d'Orient, vers l'an 198. On vit alors, pendant quarante jours,comme une ville suspendue en l'air, avec toutes ses murailles, et qui ne paraissant que le matin, s'évanouissait à mesure que la lumière du jour s'augmentait. Il a cru encore que le baptême des hérétiques était nul, et semble dire que l'Eglise pouvait résider en deux ou trois laïques. Nous ne dirons rien ici de certaines expressions trop fortes échappées à Tertullien dans quelques-uns de ses traités, composés lorsqu'il était encore catholique. Nous les avons remarquées, lorsqu'il nous a paru nécessaire. Mais nous ne pouvons dissimuler les erreurs dans lesquelles il tomba depuis qu'il eut fait schisme avec l'Eglise. On sait la facilité avec laquelle il reçut dès-lors comme des oracles du Saint-Esprit les écrits et les imaginations de trois fanatiques possédés du démon, je veux dire de Montan, de Prisca et de Maximilla. Ce sont ces prétendues révélations dont il parle si souvent et avec tant d'estime dans ses écrits, en particulier dans ses livres contre Marcion, où il dit que le Paraclet a mis des bornes au mariage et en a prescrit l'unité, et dans celui de la Monogamie, dans lequel, sur la fausse persuasion que le Paraclet avait amené une plus grande perfection que les |529 Apôtres, il condamne les secondes noces comme des adultères, sans mettre aucune différence entre avoir deux femmes en même temps, ou les avoir l'une après l'autre. C'est encore sur l'autorité de son Paraclet qu'il enseigne qu'on ne doit point fuir dans les persécutions; qu'il n'est pas même permis de s'en exempter pour de l'argent, et qu'il vaut mieux renoncer à la foi dans les tourments, que de la confesser par la fuite. Il apprit aussi de Montan et de ses prophétesses à être inexorable envers les pécheurs, et il soutient qu'on ne peut accorder l'absolution aux adultères sans renoncer à toute pudeur. Il veut qu'on en use de même à l'égard de tous ceux qui se reconnaissent coupables de quelques péchés mortels ou capitaux, pour lesquels il défend même de prier. Ce qui faisait dire à saint Jérôme que Tertullien rejetait les Chrétiens qui recouraient à la pénitence. Nous ne devons pas oublier que, depuis qu'il eut embrassé le parti de Montan, il ne cessa d'insulter aux Catholiques, comme à des hommes charnels et peu éclairés, qu'il appelle partout Psychiques. Car tel était l'esprit de ceux de cette secte, au rapport d'Astère Urbain, un de ceux qui se sont appliqués à développer et à combattre les erreurs des montanistes, et à faire connaître à la postérité les mœurs de ces fanatiques. L'esprit d'erreurs qui possédait Montan et ses sectateurs, les portait, dit cet auteur, à noircir par d'atroces calomnies l'Eglise répandue dans toute la terre. On doit donc regarder comme des faussetés les reproches que Tertullien fait aux Catholiques de se livrer à la bonne chère et à l'impureté de leurs agapes, et d'engager les confesseurs détenus dans les prisons à commettre des excès dans le boire et dans le manger. C'était encore une maxime des montanistes de s'assembler ouvertement dans le temps même des persécutions, comme pour irriter les païens, tandis que les Catholiques ne s'assemblaient qu'en secret, et avec beaucoup de précautions. |530 

XIX. 

JUGEMENT SUR SON STYLE ET SES OUVRAGES.

Quant au style de Tertullien, on ne peut disconvenir qu'il ne soit dur, inculte, obscur et quelquefois trop enflé. Partout il est chargé de termes barbares et inconnus dans la bonne latinité, plein de sentences et de pointes d'esprit qui ont souvent plus de brillant que de solidité. On y en trouve néanmoins, et même en grand nombre, qui sont nobles, élevés, et dont la beauté adoucit la peine qu'il faut se donner quelquefois pour en bien pénétrer le sens. Outre la langue latine, il avait étudié celle des Grecs, dans laquelle il écrivit quelques ouvrages dont aucun n'est parvenu jusqu'à nous. On voit par son Apologétique et ses autres ouvrages contre les païens, qu'il possédait ce que les Lettres humaines ont de plus beau et de plus savant. Ses livres contre Marcion renferment tous les principes de l'ancienne théologie. Il faut dire la même chose de son livre contre Praxéas, dans lequel il expose avec tant de netteté et de précision la foi de l'Eglise sur la Trinité des personnes en un seul Dieu, qu'il peut servir de modèle à tous ceux qui ont à traiter une matière si sublime. Ses livres du Baptême, de la Couronne du soldat, de l'Apologétique, du Jeûne et de la Pudicité, sont comme un trésor des rites et des anciens usages de l'Eglise. Enfin son livre des Prescriptions fournit des armes pour combattre et ruiner toutes sortes d'hérésie. C'est surtout dans ce traité que l'on remarque la vivacité du génie de Tertullien, la pénétration et l'étendue de son esprit, la force de son raisonnement. Il est tout différent dans les ouvrages qu'il a composés depuis son schisme. Quoiqu'ils renferment quantité de choses très-remarquables et très-utiles, on n'y trouve pas autant de solidité, de pénétration et de fécondité d'esprit, que dans ceux qu'il a composés étant |531 Catholique. Souvent même on a peine à le suivre, tant ses raisonnements sont embrouillés, et il y a des endroits où il est presque impossible de deviner son sentiment. Témoin ce qu'il dit de l'Eglise et du pouvoir qu'elle a de remettre les péchés. La plupart de ses objections contre les Catholiques ne sont que de vaines subtilités: tout lui est bon quand il s'agit de défendre ses erreurs, et il n'a pas honte d'autoriser par des visions de femmes son sentiment sur la nature de l'ame, qu'il croyait palpable, transparente, et de la nature de l'air.

XX. 

EDITION DES OUVRAGES DE TERTULLÏEN.

Nous avons obligation à Beatus Rhenanus d'avoir travaillé le premier à recueillir les ouvrages de Tertullien, et à en éclaircir un grand nombre d'extraits par de courtes et savantes notes. Il se servit à cet effet de deux manuscrits qu'il avait tirés de deux abbayes d'Allemagne. S'il en avait eu un plus grand nombre et de plus corrects, il manquerait peu de choses aux éditions qu'il a données de Tertullien. La première parut à Bâle, en 1515, in-fol. Sigismond Gelenius revit la dernière, et y corrigea quelques traités de Tertullien, sur un manuscrit d'Angleterre. Il donna en 1562 une nouvelle édition du Tertullien de Rhenanus, avec les commentaires de François Zéphinus, Florentin, à Bâle, in-fol. On la réimprima à Paris, en 1566, en deux volumes in-8°, en fort beaux caractères. Jacques Pamelius, archidiacre, et depuis évêque de Saint-Omer, fit réimprimer les Œuvres de Tertullien avec de nouveaux commentaires, à Anvers, en 1579 et 1584, in-fol.; à Paris, en 1583; à Heidelberg, en 1596; à Genève, en 1597, 1601, 1607; à Franken, en 1597, avec les notes de Junius; à Paris, en 1598, 1608; à Anvers en 1609; à Paris, en 1616; à Cologne, en 1617; à Zurich, en 1657; à Paris, en |532 1628, in-8°, 1634, in-fol.; 1658, in-8, et 1664, in-fol.; à Rouen, en 1662, in-fol. Outre les prolégomènes, les commentaires et les notes de Pamélius, on trouve dans les dernières éditions celles de Latinus Latinius, de Mecerus, de Richer et de Zéphinus. Les commentaires de Pamélius sont très-utiles et très-recherchés, mais il s'y éloigne souvent de son sujet. Les remarques de Latinus Latinius ne sont pour la plupart que des conjectures, pour rétablir les endroits du texte de Tertullien qu'il croyait corrompus; il la donna en 1584. Pamizole travailla aussi à corriger le texte de cet auteur, mais il ne fit rien imprimer. Fulvius Ursinus recueillit plusieurs différentes leçons des manuscrits, et les mit à la marge des Œuvres de Tertullien d'une édition de Pamélius, dont M. Rigaut profita dans la suite. Presque dans le même temps que Pamélius donna sa première édition de Tertullien, La Barre en entreprit une autre qu'il fit imprimer à Paris, en 1580, in-fol. Je ne sache point qu'elle ait été réimprimée depuis. La première de M. Rigaut ne fut que de quelques Opuscules que Robert Etienne imprima en 1628. Il les fit ensuite imprimer tous ensemble après les avoir revus et corrigés sur un manuscrit d'Agobard, avec des notes et un glossaire pour l'intelligence des termes africains, à Paris, en 1634 et 1641. Celle-ci est la plus estimée; mais pour l'avoir complète, il y faut joindre un volume entier de notes et de commentaires de différents auteurs, imprimé à Paris, en 1635, in-fol. On estime les notes critiques et grammaticales de M. Rigaut, mais on fait peu de cas de celles qui regardent la théologie, et on s'est plaint de la liberté qu'il s'est donnée en parlant, de certains usages de l'Eglise. Philippe Le Prieur fit réimprimer l'édition de M. Rigaut à Paris, en 1664 et 1695, in-fol., et y ajouta à quelques notes de sa façon qui sont peu de chose, celles de Saumaise sur le livre du Manteau, avec une Dissertation sur la vie, la doctrine et les erreurs de Tertullien. Celte dernière est plus étendue que l'autre, et contient, outre le traité de la Trinité attribué |533 à Novatien, un poème intitulé: de Jonas et de Ninive. Le Père Jean-Louis de la Cerda, jésuite espagnol, fit imprimer un Commentaire sur les ouvrages de Tertullien, plus complet que ceux qui avaient paru jusqu'alors, en deux volumes in-fol., en 1624, 1630 et 1641. Mais cet ouvrage est demeuré imparfait; on le trouve trop long et ennuyeux, l'auteur y fait quantité de recherches et de notes inutiles. Ceux du Père George, capucin, le sont encore plus, et il aurait pu, sans faire tort au public, les réduire à plus de moitié; il ne laisse pas d'y avoir de l'érudition, mais peu de connaissance de la bonne critique et de l'ancienne discipline de l'Eglise. Ils furent imprimés à Paris, en trois volumes in-fol., en 1646, 1648, 1650. On a donné à Venise, en 1701, in-fol., une édition complète des Œuvres de Tertullien, avec des notes choisies des meilleurs éditeurs, qu'on a mises à la fin; mais cette édition est peu exacte. L'Apologétique fut imprimé séparément à Venise, en 1497, avec les Œuvres de Lactance, quelques-unes de saint Chrysostôme et la Préparation évangélique d'Eusèbe; à Venise encore, avec les Œuvres de Lactance, en 1509; à Paris, en 1509, in-4°, et chez Alde, en 1515, in-8°; à Paris, en 1613, in-4°, avec des notes de Didier Héralde; à Leyde, en 1718, in-8°, avec un savant commentaire de Sigebert Havercamp; les deux livres aux Nations, à Genève, en 1625, in-4°, avec les notes de Jacques Gudefroy; le livre des spectacles, à Paris, en 1601, avec les Œuvres d'Onuphre Pauvinius; le livre du Manteau, à Paris, en 1600 et 1614, in-8°. La première édition est d'Edmond Richer, qui donna en même temps ce livre en français; la seconde est de Théodore Marsilius. François Junius en avait déjà donné une latine à Leyde, en 1595, avec des notes. Saumaise en fit une quatrième à Paris, en 1622, in-8°, et une cinquième à Leyde, en 1656, in-8°. Denis Peteau, mécontent des notes dont Saumaise avait accompagné son édition, les attaqua sous le nom supposé d'Antoine Kerkaïtius, en 1622. Saumaise |534 répondit l'année suivante avec assez d'aigreur sous le nom de François Francus, ce qui attira une réplique de Denis Petau, qui n'est pas moins vive que la réponse du premier. Ce traité du Manteau a été aussi publié en français, in-12, à Paris, 1640, par Titreville, et ibid, 1665, par Manessier, qui a aussi publié en français le Traité de la Patience, et l'Exhortation au Martyre, en 1667. L'Apologétique fut traduit en français pour la première fois par Louis Giry, avocat au Parlement, et membre de l'Académie française, et imprimé à Paris, en 1636, 1646, 1660, 1666, in-12; 1684, in-12, avec le latin à côté; en 1701, on réimprima à Amsterdam, in-8°, la même traduction, avec le texte latin à côté, et un abrégé de la dissertation de Pierre Allin, sur les ouvrages et la vie de Tertullien. En 1714, M. Vassault, aumônier et confesseur ordinaire de la maison de feue madame la dauphine, donna une nouvelle traduction française de cet Apologétique, à Paris, in-4°, chez Collombat; et l'année suivante 1715, le même libraire en publia une édition in-12; l'une et l'autre est précédée d'une excellente préface sur quelques apologistes de la religion chrétienne et sur Tertullien en particulier, et accompagnée de notes utiles, la plupart historiques. Le traducteur promettait, dans sa préface de faire suivre de près une traduction de l'Apologétique de Scapula, de l'Exhortation aux Martyrs, des Traités de la Patience, de la Pénitence, de la Prière, des Spectacles et de l'Ajustement des Femmes. Il promettait aussi un Dictionnaire pour l'intelligence de Tertullien; mais cette double promesse n'a point encore été exécutée. Outre ces deux traductions françaises de l'Apologétique de Tertullien, Pierre Maner ou Manier (Manerus) en a donné une en espagnol, à Sarragosse, in-4°, 1644; et Joseph Betty une en anglais, à Arfurt, 1722, in-8°, avec Théophile d'Antioche. L'Apologétique adressé à Scapula a été traduit en allemand, à Smalcald, en 1582, in-12, par Luc Majo, et il fut publié à Paris, en français, en 1640, in-12, par Herbier. Le traité des Prescriptions a été donné |535 séparément en latin avec les notes de Quintinus Heduus, à Paris, 1561; en 1599, avec les notes de Pamélius, in-12, à Cologne; en 1675, in-4°, à Bruxelles, avec un long commentaire de Chrétien Lapus, ermite de Saint-Augustin. Cet excellent ouvrage des Prescriptions a été aussi donné en français. J'en connais trois traductions: la première est d'un nommé de La Brosse, et fut donnée à Paris, in-8°, en 1612; la seconde fut publiée dans la même ville, aussi in-12, en 1683, chez Trouvin; le traducteur est M. Hébert. Il y a joint une traduction des traités de l'Habillement des Femmes, de leur Ajustement, et du Voile des Vierges. Le tout est suivi d'éclaircissements pour l'intelligence du texte, et dédié à M. de Harlai, archevêque de Paris. La troisième traduction du livre des Prescriptions est d'un Jésuite; elle a été imprimée chez Le Mercier, en cette année 1729, in-12. Le traducteur y a joint l'abrégé des Hérésies, que quelques critiques contestent à Tertullien; et il prouve dans ses remarques que cet abrégé est de cet écrivain. Les mémoires sur les sciences et les beaux arts, connus sous le nom de Mémoires de Trévoux, mois de mars 1729, article 32, parlent d'une quatrième traduction française de cet ouvrage, imprimée, disent-ils, à Genève, chez Barillat, à la suite de l'entretien d'un Catholique avec un J., au sujet de l'excellente Vie de saint Prudence de Troyes, donnée au public en 1725, in-12, à Paris et dont l'auteur est M. Brayer, chanoine de la cathédrale de Troyes. M. Giry, qui a donné en français l'Apologie pour les Chrétiens, a aussi donné en la même langue les traités de la Chair de Jésus-Christ, et de la Résurrection de la chair, in-12, chez Le Petit, 1661. Florimond de Raimond ou Louis Richeome, Jésuite, donna, en 1594, une version française du livre de la Couronne du soldat, avec des notes, le tout imprimé à Bordeaux, chez Millanges. Il le fit réimprimer à Paris, avec le livre aux Martyrs, à la fin d'un traité intitulé l'Antechrist, et de l'Antipapesse Jeanne, en 1599. Paul Colomiers a donné aussi le livre aux Martyrs, en français, à |536 La Rochelle, en 1673. On en a une traduction espagnole, avec les traités de Scapula, de la Patience, du Témoignage de l'ame, etc., par Joseph Pellinier, à Barcelonne, en 1639. Le traité de la Couronne du soldat avait été donné en français, dès 1563, à Paris, chez Vascosan, in-8°, par Mauré. M. Muratori ayant trouvé dans la Bibliothèque Ambrosienne, à Milan, un manuscrit où le traité de Tertullien, de l'Oraison, était plus complet que dans les éditions des œuvres de ce Père, le fit imprimer à Pavie, en 1713, dans le troisième tome de ses Anecdotes. Les Nouvelles littéraires de la Haye, 1715, tome I, annoncent qu'un savant de Reggio préparait une nouvelle édition de ce Père, revue sur un exemplaire corrigé par Gaspard Scioppius, et avec un commentaire de Pencirola, sur toutes les œuvres du même Tertullien, lequel commentaire n'avait jamais paru. Dom Charpentier, Bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, se dispose aussi à en donner une nouvelle édition. L'auteur est habile et membre d'un corps, célèbre dans l'Eglise pour avoir rendu à un grand nombre d'écrits des Pères leur pureté originale.

FIN DU TOME TROISIEME ET DERNIER.


1. (1) Dom Ceillier.


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Traduit par E.-A. de Genoude, 1852.  Proposé par Roger Pearse, 2005.  Text grec en unicode.


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